Hope Town – The Elbow Reef Lighthouse

Les marins aiment les phares. Même à l’heure du GPS, et peut être même davantage encore, ce faisceau lumineux, emprunt de générosité, balaye inlassablement l’horizon, sans jamais faillir. C’est comme un clin d’œil enamouré, un sourire cajoleur, une parole tendre. Une sentinelle silencieuse et bienveillante qui, tel un ange veille chaque nuit les marins en mer.

« Qui peut dire combien d’hommes et de vaisseaux sauvent les phares ? La lumière, vue dans ces nuits horribles de confusion, où les plus vaillants se troublent, non seulement montre la route, mais elle soutient le courage, empêche l’esprit de s’égarer. C’est un grand appui moral de se dire dans le danger suprême : Persiste ! Encore un effort ! Si le vent, la mer, sont contre, tu n’es pas seul, l’Humanité est là qui veille pour toi. »

La Mer
Jules Michelet

Les hommes qui vivent dans les terres sont souvent fascinés, émerveillés, par les phares, leur grandeur, leur magie et la solitude de leurs gardiens.

Et pourtant, certains riverains n’aiment pas les phares, mais pourquoi donc ?

Il y a d’abord les naufrageurs, de sombre réputation, qui n’hésitaient pas à recourir à tous les subterfuges pour induire les capitaines en erreur de navigation, conduisant irrémédiablement à leurs pertes, navires, cargaisons et équipages et laissant place au pillage.

Encore de nos jours, il y a également ceux qui voient d’un bon œil un cargo chargé de marchandises diverses venir se jeter sur des hauts fonds qu’ils soient récifs de corail, rochers, îlots et même plages de sable blanc. Le navire éventré offrant alors royalement sa cargaison aux habitants.

Ce fut le cas des Bahaméens d’Abaco, historiquement grands chasseurs et pilleurs d’épave qui éprouvèrent une solide animosité envers le projet de construction des deux premiers grand phares des Bahamas, l’un sur la pointe sud de l’île de Great Abaco au Hole-in-the-Wall et l’autre à Gun Cay juste au sud de Bimini.

Depuis bien longtemps, après avoir vécu quelque temps, de la collecte de l’ambre gris, de l’exploitation de salines naturelles, de la coupe du bois de campêche, de la pêche à la tortue, de la chasse au phoque-moine, les Bahaméens s’étaient reconvertis dans le repêchage des cargaisons des épaves disséminées dans les iles. A la fin du dix septième siècle, des flibustiers français, Jean Blot et Pierre Bart, enlèvent à des entrepreneurs espagnols de la Havane, le contrôle de la plus riche épave des Bahamas, celle du galion amiral La Nuestra Senora de Maravillas, exploit qui contribuera à attirer nombre d’aventuriers.

New Providence connaîtra alors son heure de gloire avec les Vane, Rackam, Teach, et autre flibustiers devenus pirates. Puis, reprendront les activités traditionnelles du pillage d’épaves.
Au cours du dix neuvième siècle, c’est plus de la moitié des hommes d’Abaco, armant très officiellement près de trois cents navires qui sillonnaient au long des nombreuses iles des Bahamas afin de récupérer les cargaisons. Cette activité pour le moins lucrative représentait alors environ la moitié des recettes de cette colonie britannique.

Dans un esprit bien britannique, toute cargaison récupérée, était considérée comme de la marchandise importée et devait être expédiée à Nassau pour y être vendue aux enchères.
Le prix de la vente se répartissant entre tous les acteurs du pillage, armateurs, marins, commissaires priseurs, agents divers sans oublier le gouvernement qui ne manquait pas de prélever quinze pour cent des revenus de la vente.

Les grands financiers de la City imploraient alors l’Angleterre d’améliorer les aides à la navigation dans ses colonies pour défendre ses intérêts maritimes.

C’est dans ce contexte que l’Angleterre décidera en 1863 de construire un phare à Hope Town pour avertir les navires de la présence de l’imposant récif Elbow et de sa perfide barrière de corail d’où le nom du phare le Elbow Reef Lighthouse. En effet, contrairement à ce que certains voudraient croire, le phare n’était pas destiné à attirer les marins à Hope Town mais plutôt à les en tenir éloignés. Même si aujourd’hui, le phare possède aussi cet attrait touristique.

D’ailleurs, un inspecteur du Service Impérial Lighthouse, doté sans conteste d’un solide sens de l’observation, fera remarquer judicieusement que c’était le bon endroit pour construire un phare car il pouvait dénombrer pas moins de six épaves sur le récif.

Debout face au bourg de Hope Town, le phare s’élance vers le ciel, peint de bandes horizontales alternativement rouges et blanches. Deux couleurs pour attirer le regard des marins. Le phare ne forme pour ainsi dire qu’une seule pierre, tant les pierres assemblées, selon le langage des architectes, à queue d’aronde, s’incrustent et se confondent les unes dans les autres.

Sur les cartes marines, la légende du phare de Hope Town indique GP FL W (5) EV 15 SEC, soit un groupe de cinq flashs blancs toute les quinze secondes.

C’est en 1936 que le phare de Hope Town fut finalement enrichi des équipements provenant du phare de Gun Cay, alors désaffecté. La salle de la lanterne avec son dôme en fer, l’équipement du brûleur de pétrole, le mécanisme de rotation et les panneaux lenticulaires tournants de Fresnel.

Une pompe à main est utilisée pour pressuriser le kérosène dans des récipients en fer situés dans la chambre de service, directement en dessous de la salle de la lanterne.
La source de lumière du brûleur de pétrole vaporisé est évalué à trois cent vingt cinq mille candelas et les belles lentilles de Fresnel concentrent la lumière en un faisceau courant jusqu’à l’horizon.

L’ensemble de l’équipement, lentilles et brûleur, flotte dans une baignoire circulaire de mercure qui réduit le frottement de sorte qu’au travers d’une série d’engrenages en bronze, cet appareillage de quatre tonnes pivote toutes les quinze secondes grâce à un système de contre poids, actionné par un treuil à main sur le principe d’une horloge à coucou.

Chaque soir, le gardien de service procède à l’allumage du phare et se doit toutes les deux heures de remonter le contre poids pour que le balayage du faisceau ne manque pas de lancer ses cinq épées de lumière blanche toutes les quinze secondes dans le néant vaste et noire de l’obscurité et ainsi, que le temps de l’âme du phare ne s’arrête jamais.

« Peu à peu, cependant, mes yeux s’y faisaient, et je venais m’asseoir au pied même de la lampe, à côté du gardien qui lisait son Plutarque à haute voix, de peur de s’endormir… Au-dehors, le noir, l’abîme. Sur le petit balcon qui tourne autour du vitrage, le vent court comme un fou, en hurlant. Le phare craque, la mer ronfle. À la pointe de l’île, sur les brisants, les lames font comme des coups de canon… Par moment, un doigt invisible frappe aux carreaux : quelque oiseau de nuit, que la lumière attire, et qui vient se casser la tête contre le cristal… Dans la lanterne étincelante et chaude, rien que le crépitement de la flamme, le bruit de l’huile qui s’égoutte, de la chaîne qui se dévide et une voix monotone psalmodiant la vie de Démétrius de Phalère…
À minuit, le gardien se levait, jetait un dernier coup d’œil à ses mèches et nous descendions. Dans l’escalier, on rencontrait le camarade du second quart qui montait en se frottant les yeux. On lui passait la gourde, le Plutarque… Puis, avant de gagner nos lits, nous entrions un moment dans la chambre du fond, tout encombrée de chaînes, de gros poids, de réservoirs d’étain, de cordages, et là, à la lueur de sa petite lampe, le gardien écrivait sur le grand livre du phare, toujours ouvert : Minuit. Grosse mer. Tempête. Navire au large. »

Le phare des Sanguinaires
Lettres de mon moulin
Alphonse Daudet

 

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