Quel enfant n’a pas rêvé devant une carte de géographie représentant des pays lointains aux noms enchanteurs ? Qui n’a pas imaginé partir un jour vers des horizons éloignés découvrir le monde ? Qui ne s’est jamais identifié dans sa jeunesse à tel explorateur ou à tel aventurier ?
Seulement, hélas, les rêves restent souvent à l’état de mirage inaccessible. Pourquoi ? Par manque de détermination le plus souvent. Car, pour partir, il faut beaucoup de courage pour rompre avec les sirènes de notre civilisation de consommation. Il faut aussi être capable de s’éloigner égoïstement de sa famille et de ses proches.
Jean-Luc Van Den Heede
En ce jour de 1964, monsieur l’inspecteur départemental de l’éducation nationale se désintéresse de la maitresse pour se soucier de l’avenir des petits poulbots des quartiers populaires parisiens.
La question fuse : « quel métier souhaiteriez vous faire quand vous serez grand ? »
L’institutrice donne la parole à celui qui pourrait être le bon élève. Ce dernier se lève au pied de son bureau comme il se doit, afin de répondre sans ambages, le verbe haut, le regard fier : « Amiral, monsieur ».
Voilà, le sort en est jeté. Deux mots prononcés à sept ans que l’on dit l’âge de raison, et le destin est là, ma vie relèvera des affaires maritimes.
Il ne me reste qu’à aller au bout de mes rêves.
Comment vient l’appel du large à un petit francilien ?
Papa, alors qu’âgé seulement de quelque mois, il m’emmenait dans la Juvaquatre pour sa tournée de cabotage, destinée à livrer ses baguettes de pain, et qu’assis sur le siège avant, le pare brise ressemblait à une passerelle de navire.
Ou bien maman qui me plaçait dans la vitrine de la boulangerie comme une figure de proue pour attirer les badauds.
Une nuit avant de quitter un travail où j’étais, entre autre, standardiste, j’écrivais sur une feuille de papier « Bonjour et bonne journée madame la secrétaire ». Pourquoi? Aurais je pu deviner que ce mot serait le début d’une correspondance? Chaque soir, à ma prise de service, j’ouvrais le tiroir de mon bureau, où une lettre m’attendait, et où je déposais la mienne avant de partir. On ouvrait un peu plus, chaque jour à l’amie, à l’ami, les portes du jardin secret. En nous croisant de visu, il n’en fut jamais question. Un jour je découvrais en cadeau un petit bateau en bois avec ces mots:
« Ton rêve est l’essence de ta vie, ne l’abandonne pas. »
Alain Kalita
Elle rêve avec moi.
Alors qu’avec Saudade, nous avons terminé la Grande Traversée, et que nous profitons de la douceur de vivre aux Iles Marquises, un matin je découvre dans ma messagerie un courriel, sans aucun doute l’un des plus émouvants reçus à ce jour de mon existence.
Je trinque ce soir à notre santé, à celle de nos traversées. Je trinque à nos cathédrales, achetées à des prêtres sans étoiles.
Lorsque j’étais petit, je rêvais de voler. C’était mon désir le plus intense. Je me suis fabriqué des parachutes pour sauter du toit de la maison, au grand frisson de mes parents qui m’arrêtaient au dernier moment.
Les années passant, je rêvais de devenir pilote de ligne. Au collège, en troisième, nous devions effectuer un stage en entreprise, j’ai choisi l’aérodrome. Durant une semaine j’ai suivi le moniteur dans ses avions, et parfois même il me laissait les faire décoller.
Hélas mon incapacité à comprendre l’école freina mon rêve, et j’ai dû arrêter les études faute de résultats suffisants.
Tout petit, un oiseau en métal me faisait rêver. Parce qu’il était sublime. Parce que c’était le rêve des hommes. Parce que personne n’y croyait, alors ils l’ont fait voler. Le Concorde est pour moi le fruit du génie des hommes, quand c’était encore leur cœur qui dessinait dans les cabinet d’études, qui décidait dans les bureaux, qui dépassaient l’impossible quand ils y croyaient.
A vingt ans, j’étais stagiaire dans une société informatique, et j’apprenais la fin des vols commerciaux du Concorde. J’ai pris tout mon argent pour m’offrir le billet, un aller simple. Et me rendis à New York en avion standard, resta deux jours n’ayant pas les moyens de rester plus, et pris le Concorde au retour. New York – Paris, les plus belles heures de ma vie.
Personne dans mon entourage n’a compris ma folie de dépenser tout mes avoirs pour quelques heures d’avion. Mais pour moi c’était vital. Je le devais à un petit garçon qui rêvait de voler depuis le toit de sa maison.
Le bateau est mon second rêve. Le parrain, présent à la Rochelle, m’a offert le Champagne que je déguste ce soir, pour fêter nos traversées.
Parce que nous aussi nous l’avons fait, nous avons réussi.
Jean Louis, le parrain de Wallis, est le commandant de bord du Concorde qui m’a ramené des États Unis. Je lui ai raconté mon histoire, et il m’a fait l’honneur de venir au baptême du voilier. Ils m’a offert cette bouteille afin de célébrer, après avoir effectué ensemble une transatlantique en trois heure trente, ma traversée en treize jours.
Alors je tends mon verre à l’ouest, où tu te situes, et te dédis ce verre que je partage avec le plus grand plaisir avec toi.
Parce que nous aussi, nous croyons si fort en nos rêves, qu’ils sont devenu réalité.
Avec ma plus grande amitié,
En pièce jointe de ce courriel, la photographie d’une flûte de champagne sur l’horizon de l’océan dans le couchant du soleil.
Ce message m’a été adressé par Julian depuis les côtes Brésiliennes.
Je l’ai rencontré à Cuba le 26 mars 2015 alors qu’il descendait du bus de la Viazul en provenance de la Havane afin d’embarquer à bord de Saudade pour deux semaines de navigation aux Bahamas. Il souhaitait découvrir le voilier que lui même venait d’acheter pour effectuer un grand voyage.
Au regard de la « bonne société », Julian avait une belle situation, mais il avait une dette à l’égard d’un petit garçon, un rêve, un vrai, un solide, un authentique, un sincère, un absolu, un essentiel, une quintessence de Rêve. Alors adieu la belle situation et place au rêve car il ne faut jamais trahir l’enfant qui est en nous. Tant pis pour les prophètes de mauvais augures, pour ceux qui s’évertuent à mettre en danger le rêve d’autrui. D’aucuns me rétorqueront, ce n’est quand même pas mettre en danger la vie d’autrui. Certes, mais c’est peut être encore plus grave.
Il y a ceux, bienheureux, qui peuvent vivre leur vie sans éprouver le moindre besoin d’y ajouter quoi que ce soit.
Il y a ceux, maudits, pour qui l’activité de leur imagination est essentielle. Pour eux, le monde peut être infiniment riche, gratifiant et séduisant mais il n’est pas indispensable. Il peut être interprété comme un présent que l’on mérite à la condition d’avoir créé quelque chose qui le dépasse, l’esprit du rêve.
Je ne crois pas que nos proches nous qualifieraient ni l’un, ni l’autre, de bavards invétérés et pourtant nous allons passer des heures passionnantes, enrichissantes, à échanger, partager, raconter, parler, du voilier, des escales, des pays, des rencontres, du grand voyage bien sûr, mais aussi du rhum, du café, des étoiles, de nos vies, de la vie, de ceux qui voient un éléphant dans un boa.
Mais aussi de ceux qui ont inspiré le Rêve comme Bernard Moitessier, l’odyssée de son tour du monde en solitaire sur son voilier Joshua qu’il contera dans son livre emblématique La longue route, un chant, un poème à la mer, où l’homme, son bateau et les éléments se pénètrent et vibrent à l’unisson.
Et au delà, l’aboutissement d’une foi absolue dans notre libre arbitre:
« A nous seuls appartient le choix de guider notre destin au lieu de le subir. »
Au delà de ce monde de colère et de larmes
Ne se profilait que l’horreur de la nuit
Et pourtant face à la grande menace
Je me trouve et reste sans peur
Peu importe combien le voyage sera dur
Et combien la liste des châtiments sera lourde
Je suis le maître de mon destin
Je suis le capitaine de mon âme
Invictus
William Ernest Henley
C’est ce poème que Nelson Mandela aimait se remémorer au coeur des ténèbres les plus obscurs.
J’avoue, nous avons bien vécu pendant ces deux semaines au cours desquelles nous régalerons nos papilles de langouste à Cuba, de conch salade aux Bahamas et de daurade coriphéne pêchée au cours des traversées, cuisinée par votre serviteur. Nous prendrons le temps de déguster, apprécier, savourer, aux bons soins du capitaine quelques boujarons de daïquiri, servis dans les verres art déco de ma Mamie qui me tiennent à coeur.
Et puis, nous ferons une belle navigation au sein des eaux turquoises des Bahamas.
La navigation de nuit, c’est celle que je préfère. Le sentiment de liberté est à son paroxysme. Il n’y a plus d’horizon, les minutes se transforment en heures, le temps ralentit. C’est à ce moment que je me rends compte de l’influence de mon quotidien de citadin trentenaire sur mon existence. Ici je suis sans lumière, sans écran, sans distraction, sans rien d’autre à faire que regarder la profondeur de la nuit noire. Je me fascine pour la trainée que laisse le voilier sur la mer, je pense, je regarde les étoiles, des souvenirs remontent, des bons, des mauvais, et petit à petit, la mer commence à me laver de ma vie de terrien.
Julian
Julian, au vu de notre différence d’âge, je pourrais être son père, et pourtant il est pour moi comme un frère, un frère d’âme, de coeur, d’océan.
Julian, c’est une belle rencontre.
Julian, c’est une belle personne.
Julian, il navigue à bord de Wallis
Julian, il parle avec bonheur, passion et générosité, de son voyage sur son blog:
www.bleudeperse.com
Pour nos retrouvailles dans le Pacifique, je lui ai promis un daïquiri. Mais, nous aurons tant de choses à nous dire, sans même prononcer un mot, que je crois que cela sera plutôt un double daïquiri.
« Il meurt lentement, celui qui ne prend pas de risques pour réaliser ses rêves. Il meurt lentement celui qui ne voyage pas, celui qui ne lit pas, celui qui n’écoute pas de musique, celui qui ne sait pas trouver grâce à ses yeux »
Pablo Neruda
Bernard Moitessier
Vagabond des mers du sud
La longue route
Tamata et l’arche de l’alliance
Éditions Arthaud
Antoine de Saint Exupéry
Œuvres complètes – Bibliothèque de la pléiade – Gallimard.
Alain Kalita
Je suis né deux fois – Éditions du Cherche Midi
Elle rêve avec moi – Éditions Magellan et Cie
www.alainkalita.blogspot.com
Gerald il me tarde de le rencontrer ce frère !
Bonjour Gérald,
Je surfais sur ton site pour les si belles photos mais ce jour je lis ce post…
Wouahhhhh grosse claque j’adore
juste rien à dire de plus
que c’est beau et juste
gros bisous
Hello Gerald & Brigitte,
So wonderful to meet you both in Papeete, thank you for welcoming Mal and I on board your beautiful Saudade.
We find ourselves dreaming of an Allures…hopefully we can stop dreaming and make it our reality…and not an impossible dream! Just to sort out our home affairs…and stop going around in circles.
Your writing is from the heart…may we meet again someday!!
Regards
Marcelle & Mal Clark
Merci Gérald pour ces beaux témoignages de vie et d’engagement, d’abnégation et de rêve, d’espoir et d’aventure, de courage et de folie! Le vrai sens de sa vie et au bout de ses rêves et de ce que l’on est capable de lui sacrifier.
Je ne connaissais pas les poèmes de W E Henley, celui ci est très beau…et que dire de Pablo Neruda, un pur bonheur…
Amitié
Monique