Cela commence comme un rêve d’enfant mais aussi par l’avant dernière page du Marin, le journal de la profession. Y figurent les coordonnées de toutes les compagnies maritimes battant pavillon français et cela occupent alors la pleine hauteur de la page, plus d’une trentaine d’armements et trois cent cinquante navires à cette époque. Un courrier à chacune d’entre-elles, une réponse positive de chacune d’entre-elles.
J’ai entendu dire que le pétrole payait bien, les marées noires ne font pas encore l’actualité, les chocs pétroliers restent à venir, alors mon choix porte sur la SMBP, la société maritime des pétroles BP et ses bateaux au nom des châteaux de la Loire : Blois, Brissac, Beaugency, Montsoreau, Chinon, Cheverny, Chaumont, Chambord, Azay le rideau, Amboise. Ma demande : embarquer au cours de l’été en tant que Pilotin, c’est le capitaine d’armement qui me répondra positivement puis m’invitera par un télégramme à me présenter à l’agence maritime Delpierre à Dunkerque afin d’embarquer sur le Chaumont pétrolier de trente trois milles tonnes de port en lourd.
Une fois de plus, la petite famille se déplace au grand complet pour accompagner le fils prodige. Papa a décidé d’arriver la veille dans la ville du corsaire Jean Bart pour permettre à maman d’admirer les grues portuaires qui tels des échassiers s’alignent le long des darses.
L’article 8 de la convention internationale de l’organisation du travail établi en 1926 mentionne que tout marin doit recevoir un document contenant la mention de ses services à bord du navire, il s’agit du livret professionnel maritime qui constitue également une pièce d’identité des gens de mer. Alors cap sur le 22, rue des fusiliers marins, qui abrite l’administration des Affaires maritimes et son bureau de l’inscription qui doit me délivrer ce précieux sésame.
Le très jeune homme aux yeux marron, cheveux châtain foncé, taille un mètre soixante seize, se voit attribuer, non sans une certaine émotion, le numéro d’immatriculation DK 73 S0058. Au yeux de l’administration des affaires maritimes, je suis marin, c’est une première reconnaissance, certes purement administrative mais un pas de plus vers le grand large qui se dessine au-delà des jetées qui protègent l’entrée du port. Je sors de cette administration le nez au vent, l’œil assuré. Des passants, les pauvres, ne me jettent qu’un regard distrait et j’en fus rouge de honte pour eux. Marin, j’étais marin.
04 juillet 1973, c’est un grand jour : un orage catastrophique sur Saint Brieux qui est submergé par un torrent de boue, la signature du traité instituant la communauté des caraïbes, le concert de Stevie Wonder à Brighton, la loi concernant le régime de la pharmacie, la sortie sur les écrans du film l’exorciste, la célébration de la déclaration d’indépendance des Etats-Unis. Désolé Monsieur Thomas Jefferson, mais le grand jour se déroule sur le mole 6, quai Freycinet 12, une masse d’acier rouge et noire s’étire sur deux cent trois mètres, sur la poupe de grandes lettres en acier soudées sur la coque dénomme ce pétrolier le Chaumont. Une coupée en aluminium est fixée le long du château arrière et je vais l’emprunter. C’est un grand jour.
« Ce fier navire a reçu le nom d’un fier château. Il s’appelle le Chaumont comme la sentinelle toute blanche qui de son haut lieu campé dans la verdure, veille sur le Val de Loire entre Blois et Tours. Il sera digne de ce grand nom. Sur les mers comme sur terre bon sang ne saurait mentir et notre Chaumont est de la même souche, celle des Chantiers de France, que notre Chambord, notre Chenonceau et notre Cheverny qui pendant la crise de Suez ont, par la vitesse et la régularité de leur marche, si vigoureusement contribué à protéger le pays contre l’asphyxie qui le menaçait. En mai prochain, le Chaumont commencera sa carrière de roulier des mers, ajoutant un maillon à la chaîne sans fin qui tourne en permanence entre les rivages du Golfe persique ou de la Méditerranée orientale et les ports de nos raffineries, amenant à celles-ci leur pâture quotidienne. »
Ainsi s’exprimait le président directeur général Jean Huré lors de son lancement alors qu’à l’âge de six mois, je suis bien loin des préoccupations maritimes.
Les docks ont leurs odeurs, celle du suif et du chanvre, de la peinture, de la vapeur, des grues, du cambouis et de la marée, c’est l’odeur des départs, des voyages et des aventures, c’est l’odeur de mon inquiétude, de la jeunesse qui s’enfuit. C’est papa qui m’accompagne à bord, maman et petite sœur sur le quai. Le second capitaine m’accueille, ma cabine est située à bâbord sur le château avant dans le quartier des officiers de pont.
L’appareillage est programmé pour cette après midi. Quel joli mot pour aller respirer les marées, les vents, les courants, pour aller converser avec la mer effrayante et rassurante, pour me joindre aux coureurs des mers : Les explorateurs, aventuriers, commerçants à la poursuite de soie, d’épices, de porcelaines ou d’or, géographes, illuminés, corsaires, pirates, ou flibustiers, agents de grandes compagnies marchandes, sujets de monarques épris de science et découvreurs de nouveaux mondes, amateur de records portés par des défis incroyables et pourquoi pas simple pilotin. Ils peuvent être vénitiens, génois, chinois, arabes, hollandais, britanniques, espagnols portugais, bretons, gascons, basques et pourquoi pas petit parisien.
A la recherche d’un peu d’émotions, d’amour certainement. Derrière la quête de l’océan, celle des sentiments. Les caresses du vent, du sel, des eaux déchainées, en prélude à celles du corps
- Et la mer et l’amour ont l’amour pour partage
- Et la mer est amère et l’amour est amer
- L’on s’abime en l’amour aussi bien qu’en la mer
- Car la mer et l’amour ne sont point sans orage
Pierre de Marbeuf
Alors appareillage : équipage au poste de manœuvre, réchauffage des circuits vapeur, mise en pression et essais de la machine, balancement du gouvernail, essais des téléphones et des talkies walkies, dédoublement de l’amarrage, pilote embarqué, liaisons avec la terre débranchées, coupée retirée. Lamaneurs et remorqueurs en action.
Il restait à peine quelques traces du jour lorsque Calypso m’offrit un premier spectacle comme un instant d’immortalité, sans doute une mise à l’épreuve afin de savoir si je consentirais à rester près d’elle. Quelques milles nautiques que nous venons d’embouquer la manche. Sur tribord avant, un magnifique trois mats remonte au vent, à notre hauteur le soleil jette ses dernières lueurs avant de sombrer dans l’océan. Je n’ai que le temps de quitter la passerelle, de me ruer à ma cabine pour saisir mon appareil photo, de remonter quatre à quatre les marches métalliques et d’appuyer sur la touche de mon kodak instamatic. Quelques semaines plus tard, c’est dans une chambre noire que le révélateur exposera sur du papier photosensible un trois mats par le travers, faisant route sous la lumière tamisée d’un disque d’or se reflétant dans les vagues langoureuses d’un début d’été.
C’était un grand jour, c’était le grand jour.
A la lecture de ces lignes je crois revivre mes émotions lors de mon premier embarquement à bord de l’Azay le Rideau début novembre 1973.
Je suis resté 11 ans dans cette compagnie puis encore 31 autres années de navigation avant de débarquer définitivement.
Bien cordialement
Joël RUZ
De 1964 à 1971 j’ai navigué à la BP
salut
sur le Chaumont , j’étais embarqué comme fusible » maitre élactricien » dans les années 63/65 aussi sur le Chenonceau
golf persique , cap lopez