Je Suis de l’ Océan

L’océan, c’est aussi la solitude qui se crée, les moments de vide que l’on choisit de ne pas remplir pour se mettre face à un miroir et mieux se comprendre.C’est en ça, entre autres que l’océan est un formidable compagnon de voyage.
S’écouter, prendre patience, se faire du bien, se reconnaître.

Je suis composé de vagues, de houle, des oiseaux marins, de coquillages et crustacés, de poissons, de tortues marines, de dauphins, de requins, de baleines.

Je suis la vague. Celle qui se brise inlassablement sur le récif de corail de l’atoll de Maupiti, sur les roches de granit rose des côtes d’Armor. Le temps ne peut rien contre-elle. Elle se brise inlassablement, éternellement. Elle se brise mais elle est éternelle.

Je suis la houle. Une houle du sud qui ondule pleine de grâce. Une belle houle qui, transportée d’émoi de tant d’amour, saura parcourir les mers du sud avec sa grandeur d’âme, pour au gré des courants marins, ensemencer de désir d’autres lieux, d’autres iles.

Je suis les oiseaux marins. Les frégates, ces grands voiliers noirs de haute mer qui aiment à voler dans le firmament du ciel profitant des ascendances et de leur majestueuse envergure. Les fous de Bassan qui n’en finissent pas d’errer, non pas comme des âmes en peine mais bien plutôt comme des pourfendeurs d’océan, ivre de liberté, se jouant des embruns de la prestance de leur vol plané au dessus des flots.

Les océanites, petits oiseaux marins que le grand large n’effraie pas, volettent, virevoltent, tournevoltent, au ras de l’eau de vagues en vagues pour traquer le plancton ou la petite friture et lorsque l’astre roi a glissé sous l’horizon, les océanites, aiment après leur journée à venir en couple se divertir en voletant, virevoltant, tournevoltant au dessus du mat et au long des voiles de Saudade tout en piaillant gaiement.

Le Paille en queue, dans sa belle livrée d’un blanc étincelant. C’est un esthète, un artiste. D’abord son élégance naturelle, puis une finesse de vol tout en esquisses et arabesques.

Au dessus, près des étoiles, les goélettes de la vierge, des sternes blanches. Immaculées de blancheur, avec un long bec de couleur bleue nuit et les pattes palmées.

Dans les éclaboussures de ciel bleu, elles dessinent, dessinent, dessinent…
Comme en hommage au poète du plat pays, les goélettes de la vierge dessinent des cahiers de poésie pour aimer davantage la vie avec ses alternances de beauté et de cruauté.
Elles dessinent des partitions aux mélodies désespérées d’espoir, calmes et violentes, tourmentées d’apaisements, tristes et gaies.
Elles dessinent des marins qui chantent, les rêves qui les hantent.
Elles dessinent à croquer la fortune, à décroisser la lune, à bouffer des haubans.
Elles dessinent des perles de pluie, venues de pays, où il ne pleut pas.
Elles dessinent un roi, mort de n’avoir, pu te rencontrer.
Elles dessinent…

Je suis les coquillages et crustacés. Peut-être sur une plage abandonnée…

Je suis les poissons. Le plus beau, sans conteste, le Baliste Picasso. Il a un corps ovale de couleur gris pâle à beige au dessus, noir sur les flancs et le ventre blanc. Son museau allongé possède une bande bleue au dessus de sa bouche qui est recouverte par une bande jaune claire, qui se poursuit jusqu’aux nageoires pectorales en orange. De larges bandes noires recouvrent ses yeux ainsi que son abdomen. La base de sa queue comporte trois bandes horizontales noires sur fond blanc. Ses nageoires blanchâtres sont légèrement translucides. Il est maquillé comme une diva et prend tellement bien la lumière.

Le plus drôle, le poisson coffre. De forme cubique de couleur jaune parsemée de points noirs et des nageoires translucides. Sa bouche est parfois entourée de rose avec une protubérance rosâtre située au-dessus qui ressemble à un nez, un nez de clown bien sur. Sa nage s’apparente aux démarches des premiers films muets à la Buster Keaton.

La plus mode, elle aurait pu défiler pour Coco Chanel, la Demoiselle à bandes noires. Cette demoiselle est blanche avec trois larges bandes verticales noires, l’une traversant la tête et l’œil, l’autre le milieu du flanc et la troisième l’arrière du corps. Ses lèvres sont blanches à blanc gris et une zone rectangulaire blanche est présente entre ses yeux. Ses nageoires pectorales et sa caudale sont translucides. Sur les podiums des défilés, elle porte sa petite robe noire à merveille.
Mais aussi le tétrodon jaune, le papillon cocher, le poisson trompette, le papillon à bandes jaunes, l’idole des Maures, l’ange empereur, le vivaneau, la murène et bien d’autres…

Je suis la tortue marine. Une tortue imbriquée à écailles. Elle sort bien la tête de l’eau comme pour nous regarder et plus sûrement pour attraper un torticolis. De son air débonnaire, elle navigue en solitaire tout en faisant l’éloge de la lenteur sur des distances incroyables avec pour seul objectif de retourner sur une plage, sa plage, afin d’y déposer ses œufs et d’assurer la survie de son espèce bien mis à mal.

Je suis le dauphin. Lorsqu’ils ne viennent pas nager autour de l’étrave pour saluer Saudade, les dauphins se livrent à des sauts périlleux en tout genre, les uns plus extravagants que les autres. Ils ne soignent pas leur rentrée dans l’eau, bien au contraire, un maximum d’éclaboussures pour mieux estourbir les bancs de poissons qui ne savent plus où donner de la tête pour sauver la leur.

Je suis le requin. Les seigneurs des mers évoluent dans les océans depuis quatre cent cinquante millions d’années alors qu’Homo sapiens ne peut revendiquer que deux cents mille ans. Ils ont survécu à l’ère glacière et aux cinq précédentes phases d’extinction massive dont la dernière a emporté les dinosaures. La nature ne faisant pas de cadeau, si les requins se maintiennent depuis si longtemps c’est qu’ils sont à la fois extrêmement bien adaptés à leur milieu et qu’ils remplissent une fonction primordiale, essentielle même pour préserver la biodiversité des océans.
Aujourd’hui, nous les massacrons par dizaines de millions chaque année, de prédateurs, ils sont devenus des proies.

Je suis la baleine. La baleine à bosse, gardienne des océans, elle représente l’univers, le cosmos et nous offre un regard sur nous-mêmes, les femmes et les hommes de la petite planète bleue dans notre quête inlassable et pathétique du sens de l’existence.

Et les vagues, houle, oiseaux marins, coquillages et crustacés, poissons, tortues, dauphins, requins, baleines sont composés de moi-même.

Avec les vagues, la houle, les oiseaux marins, les coquillages et crustacés, les poissons, les tortues marines, les dauphins, les requins, les baleines, j’ai trouvé pour moi, une joie, des élans du coeur, un charivari d’émotions, une exhalation de l’âme, une sérénité.
Une interrogation aussi, quelle relation pour l’homme à l’océan, au milieu naturel, aux animaux sauvages ? Quel espace sommes nous aujourd’hui prêts à laisser à la nature, alors que nous nous emparons des océans comme nous l’avons déjà fait des continents ?

Les vagues, la houle, les oiseaux marins, les coquillages et crustacés, les poissons, les tortues marines, les dauphins, les requins, les baleines, toute cette nature me porte, me soutient, me conforte, m’entraine, me bouleverse. Elle m’offre une sorte de connaissance totale.

Le vent, les nuages, la pluie, les orages, les ciels nocturnes magnifiés de poussières d’étoiles filantes, je ne les admire plus comme un simple mortel, un passant anonyme de l’univers. Je n’en jouis plus comme un homme, mais je suis le vent, je suis les nuages, je suis la pluie, je suis les orages, je suis les ciels nocturnes magnifiés de poussières d’étoiles filantes et je jouis de la vie sur notre petite planète bleue avec leur sensualité monstrueuse.

Je suis redevable aux lois de la nature.
Elle m’oblige à l’espérance.

PS : merci à Jean Giono pour l’inspiration

« Je suis mélangé d’arbre, de bêtes et d’éléments ; et les arbres, les bêtes et les éléments qui m’entourent sont faits de moi-même, autant que d’eux-mêmes. J’ai trouvé pour moi une joie corporelle et spirituelle immense. Tout me porte, tout me soutient, tout m’entraîne. […] Les orages, le vent, la pluie, les ciels parcourus de nuages éblouissants, je n’en jouis plus comme un homme, mais je suis l’orage, le vent, la pluie, le ciel, et je jouis du monde avec leur sensualité monstrueuse. Et je peux affirmer, contrairement à ce qu’on dit, que la matière ne désespère pas. […] Elle nous offre une sorte de connaissance totale. […] Les lois de la matière nous obligent à l’espoir. »

Jean Giono
Les vraies richesses.

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Un commentaire

  1. Mon frère est :

    Mon Grand frère,
    Un valeureux capitaine,
    un partageur de rêve
    Un poète…

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