Ti, l’élévation.
Are, la fragrance.
Tiare, la fleur.
La raison des scientifiques voudrait que cet arbuste se nomme le Gardenia taitensis. Le poète pencherait pour Tiare. Si je peux me permettre, suivez le poète dans son élévation de fragrance.
L’un des plus précieux joyaux de l’univers, un emblème pour les hommes qui la propagèrent sur toutes les îles polynésiennes, celui du lien inaliénable qui fusionne, cette fleur, la terre qui la nourrit, les femmes et les hommes qui l’honorent.
« Elle exhale ô femmes, vos splendeurs et pureté exhibées.
Onguent alchimique sur vos peaux dévoilées, elle parfume vos corps et embaume votre âme ».
Hiriata Millaud
La tiare ma’ohi, décline son identité selon son stade de maturité.
Les quatre premiers boutons qui sont encore fermés appartiennent aux dieux:
Oteo, le premier bouton appartient au dieu Taaroa, le créateur du monde.
Umoa, le deuxième bouton appartient au dieu Atea, le créateur de l’espace et de la tiare ma’ohi.
Umatatea, le troisième bouton appartient au dieu Tane qui est le dieu de la beauté.
Umoa Tea, le quatrième bouton appartient à Hina, la déesse de la lune.
Les six autres fleurs qui sont ouvertes appartiennent aux humains :
Ua Pua te tiare, lorsque la fleur des amoureux commence à s’ouvrir.
Ua Uaa te tiare, lorsqu’elle vient juste de fleurir. C’est la fleur des hommes.
Ua Mahora te tiare, lorsque la fleur est fleurie pour les amoureux.
Ua Maemae te tiare, lorsque la fleur est flétrie mais que l’amour est toujours là.
Ua Oriorio te tiare, lorsque la fleur est enroulée sur elle-même. Les amoureux sont à l’agonie.
U amaro te tiare, lorsque la fleur est sèche. Le souffle de la vie s’est envolé.
Elle est déclamée, chantée, louée, exaltée, honorée au travers des multiples légendes, contes et mythes de la création.
Le poète, Charles Teriiteanuanua Manu-Tahi, attribue l’origine de cette fleur à Atea qui en aurait fait don aux fiers et orgueilleux mortels qui passaient leur temps à se quereller.
Devant tant de beauté magnifiée, le peuple polynésien s’inclina respectueusement pour recevoir cet incroyable présent de bonté et de générosité. Un souffle des dieux offrant la paix, la sérénité, la lumière du monde, destiné à devenir la fragrance du peuple de la terre.
Autrefois, sur les marae où les anciens communiquaient avec les dieux, lors des cérémonies religieuses, les jeunes filles à la couleur de peau d’une blancheur éclatante et lunaire, ornées de leur couronne de tiare mao’hi, emblème de leur pureté, portaient des paniers remplis de fleurs de tiare qu’elles jetaient autour du marae en un geste de purification pour éloigner toute malveillance propice aux querelles, aux mauvais présages, aux caprices de dame Nature.
La tiare Tahiti était alors sacrée, seuls les rois avaient le droit de la cueillir.
Lorsque des personnes de haut rang se mariaient, leur maison et leur lit étaient tapissées de ces fleurs pendant trente jours.
Aujourd’hui, la parure des dieux est devenue la fleur des amoureux.
Placée sur l’oreille, en bouton pour les hommes ou ouverte pour les femmes, à droite pour un coeur transi, à gauche pour un coeur à prendre, sur les deux oreilles pour les plus audacieux, en arrière pour une urgence, la fleur de tiare parle au coeur des femmes et des hommes et quelquefois aux désirs du corps.
Sublime apparat de la providence nature, trois cents mille fleurs de tiare chaque jour, en colliers et couronnes pour fleurir le corps, le coeur et l’âme des femmes et des hommes du fenua.
Bouton de l’aube naissante
Sourire épanoui des espaces clairs aux teintes tamisées
Lorsque déjà, le soleil étale ses rayons
Ma chère et tendre fleur s’ouvre, pure et éclatante
Belle éclose des nuits douces
Tu aimes à t’y mirer, ô Hina, du haut de ta résidence de Marama tea
Accepte ce présent
Il est la marque de mon amour pour mon peuple.
Turo a Raapoto
Au chargement des goélettes, à côté des ballots de citrons et de pamplemousses, des fûts de noni, des sacs de cinquante kilogrammes de coprah destinés à l’huilerie de Tahiti, sa vis sans fin, ses broyeurs, torréfacteur, extracteur d’huile, filtres, raffinerie pour obtenir l’huile qui dans l’intimité des fleurs, succombant à la sensualité, se métamorphosera en monoï.
Dans la fabrication artisanale, fruit de gestes séculaires transmis de génération en génération depuis le temps des mythes, les polynésiens râpent la pulpe fraîche de la noix de coco et la mélangent aux fleurs de tiare mao’hi, en boutons ou épanouies, fraîches ou sèches. Certains y ajoutent parfois l’abdomen de petits crabes ou de Bernard-l’hermite, pour accélérer le processus de séparation de l’huile. Le soleil se chargera de la macération jusqu’à ce qu’une huile apparaisse, filtrée et laissée au repos de quelques jours à quelques mois.
C’est le mono’i tiare.
Sa couleur est celle de la lumière de l’astre roi.
Sa texture tendre et soyeuse est celle de la volupté.
C’est une certaine idée de la beauté, bien au delà d’une apparence, celle de l’âme.
Aux Iles sous le vent, à Raiatea, sur le mont Temehani, il est une Tiare des plus rares.
Il y a fort longtemps, un jeune couple vivait au bord du lagon et tous les jours, l’homme devait aller à la pêche. Un jour qu’il revint bredouille, sa femme ‘Apetahi lui dit : ce n’est pas grave, tu y retourneras demain. Le lendemain, l’homme revint encore bredouille de sa pêche. Sa femme lui dit alors : ce n’est pas grave, tu y retourneras demain.
Le troisième jour, l’homme repart donc à la pêche. Le jour passe, la nuit approche et ´Apetahi s’inquiète de ne pas le voir revenir. Elle décide de partir à sa recherche. Elle prend sa pirogue et va jusqu’au récif. Là, elle le voit danser avec une autre vahiné, tellement belle qu’on ne pouvait pas la décrire. Triste, ´Apetahi décide de le laisser sur le récif et de s’enfuir sur le mont Temehani où elle passe la nuit à pleurer.
L’homme, de son côté, est finalement rentré à la maison avec sa nouvelle vahiné.
Le matin, lorsqu’il se réveille, il découvre un grand trou devant sa porte.
Mais qui a bien pu faire cela ? S’interroge le pêcheur.
C’est moi, dit une voix, le jour je suis une pieuvre et je dois me cacher du soleil, mais la nuit je suis la plus belle des vahinés
L’homme se rend compte de sa bêtise et veut retrouver sa femme. Il la cherche partout et grimpe sur le mont Temehani. Il la trouve assise sur une pierre, en pleurs. Il lui demande pardon, l’invite à redescendre avec lui à la maison, mais rien n’y fait, ´Apetahi veut rester là. Elle lui dit :
Si tu m’aimes, reste avec moi sur cette montagne.
Et, en même temps, ses pieds s’enfoncent dans la terre comme des racines, son corps devient le tronc d’un petit arbuste et sa main devient la fleur Tiare ´Apetahi, aux cinq pétales blancs.
On raconte qu’aujourd’hui encore, la jeune femme est fâchée et c’est pourquoi il est impossible de faire pousser la tiare ´apetahi ailleurs que sur le mont Temehani.
Sur le point de quitter ce monde, lorsque tête contre tête, tu partages ton dernier souffle avec ton héritier de sorte que le transfert du trésor de tes connaissances soit symboliquement confirmé, la fleur de Tiare reste une compagne bienveillante, elle ranime les traits figés de la mort, elle embaume la dernière demeure de ses effluves de paix éternelle.