Au Cap Vert, sur l’île de Sao Vicente, à Mindelo, sur l’Avenida Marginal, la Rua de Lisboa, ou bien encore autour de la Praça Nova, les Cap Verdiennes, quelque soit leur âge, quelque soit leur condition sociale, quelque soit la teinte de leur peau, caramel, chocolat, café, les Cap Verdiennes ne marchent pas, elles ne trottinent pas, elles ne courent pas non plus et pourtant elles se déplacent.
Des éclats de sourire aux lèvres pour seul maquillage, la pétillance de bulles de champagne au fond des yeux, un souffle d’alizé dans les cheveux, toutes bariolées des couleurs de l’arc en ciel, les Cap Verdiennes ne marchent pas. Tout en nonchalance, insouciance, assurance, et non sans une certaine élégance, elles fendent l’air, elles glissent, elles ne marchent pas. Tout en esquisses, avec délices, et non sans malice, elles serpentent, elles chaloupent, elles ne marchent pas.
Non, de pas en pas, les Cap Verdiennes dansent, elles dansent, elles dansent…
Ce samedi, la Rua de Lisboa qu’aimait fréquenter Cesaria Evora est fermée à la circulation. C’est en fin d’après midi que la camionnette de la mairie fait son entrée sur les lieux avec six employés municipaux. Fort de leur savoir faire et longue expérience dans ce domaine, ils ne tardent pas en deux temps, trois mouvement, quelques gesticulations, quelques vociférations, quelques éclaboussures de rire et pour finir quelques tours de mains, à installer une estrade à la hauteur du Mercado municipal, face à la mer vers laquelle la rue s’enfuit en pente douce.
Il faudra attendre 18h pour qu’intervienne l’employé de la compagnie nationale d’électricité, Electra. Arrivé au volant de son pick-up, tournevis en main, il branche un gros câble de puissance sur le tableau électrique principal du Mercado municipal, non sans faire quelques étincelles en repositionnant les gros fusibles en porcelaine.
C’est alors le retour de l’équipe municipale dont la camionnette est cette fois-ci chargée ou plutôt surchargée d’enceintes, celles destinées à sonoriser la rue et bien au-delà et puis celles plus modestes pour le retour son à destination des musiciens.
A partir de cet instant, deux agents de sécurité, tous muscles saillants dehors que contient difficilement un tee-shirt noir au slogan de la Securanza commencent à déambuler lentement de haut en bas, puis lentement de bas en haut de la rue, le regard à l’affût, essayant de se donner un air sévère mais sans y parvenir vraiment.
C’est à la discrétion de la nuit tombante que chacun leur tour, l’ingénieur du son aux allures d’éternel étudiant et son assistant, console de mixage sur les bras, le guitariste au look rasta, le batteur survitaminé, le bassiste tout de discrétion, l’organiste et le joueur de Cavaquinho, petite guitare à quatre cordes dont le son très clair offre des airs de samba, puis le chanteur, cheveux luisants de gomina, tiré à quatre épingles dans sa chemise blanche immaculée, feront leur entrée pour installer leurs instruments respectifs et effectuer la séance de la balance, affiner le son, lui donner toute sa couleur, sa chaleur, sa saveur.
Et puis dans la douce atmosphère d’une nuit à Mindelo, les premières notes s’envolent pour deux heures de rythmes variés, endiablés, frénétiques, de percussions, de mélodies, de mélancolie, de chants créoles évoquant l’amour, mais aussi et surtout la nostalgie et l’histoire d’un peuple meurtri par l’esclavage, la sécheresse, la faim, l’exil.
Entre Afrique et Brésil, c’est la Morna originaire de Boa Vista où le poète et écrivain Eugénio Tavares, fils de colon portugais, ardent défenseur de l’identité créole délaissa les thèmes abordés jusqu’alors pour magnifier l’amour, l’éloignement, et la mélancolie.
» A Boa Vista, la morna ne s’intéressait pas aux thèmes sentimentaux; elle volait bas, détaillant le ridicule de chaque drame passionnel, chantant le côté caricatural de tout épisode grotesque, se moquant des fracas amoureux, soulignant la farce du pillage des bateaux naufragés, le tout dans ce style léger qui caractérise la vie nonchalante du peuple de Boa Vista, le plus heureux et le plus amoureux de tous ceux de l’archipel; musique élégante, pimentée de sourires fins et d’harmonies légères. »
Mais plus endiablée, plus canaille, plus frivole il y a la Coladeira. Mais aussi le Funana, symbole de l’identité capverdienne qui se danse collé-serré. Et tant d’autres sonorités, Badiu, Batuque, Tabanka, Cabolove, Rumba, propices à s’évader des peines et difficultés de la vie quotidienne.
Cette musique parle à votre âme, elle vous murmure des mots d’amour, elle vous enlace, vos pieds battent la mesure, votre cœur bat la chamade, des frissons parcourent votre corps, elle vous envoûte, elle vous submerge d’émotions.
A la fin du concert, les Cap Verdiennes s’en retournent chez elles ou vers d’autres lieux de fêtes, d’autres musiques, mais elles ne marchent pas, elles ne trottinent pas, elles ne courent pas non plus. Non, de pas en pas, les Cap Verdiennes dansent, elles dansent, elles dansent…
La musique, c’est l’âme du Cap Vert. La danse en fait son charme.
« Là haut dans le ciel tu es une étoile
Qui ne brille pas
Ici dans la mer tu es du sable
Qui ne mouille pas
Eparpillée de par le monde
Roche et mer
Terre pauvre remplie d’amour
Avec la morna et la coladera
Terre douce pleine d’amour
Avec le batuque et le funana
Tant de nostalgie
Sodade Sodade
Nostalgie sans fin
Petit pays je t’aime beaucoup
Petit petit je l’aime beaucoup »
Cesaria Evora
Petit pays