La Capoeira, aux origines entourées de mystères, qu’elle vienne d’Angola ou des quilombos du Brésil, ces territoires isolés où vivaient les esclaves fugitifs, c’est bien plus qu’un art martial afro-brésilien. C’est une histoire, celle d’une technique de combat tout en esquives, dissimulée sous des chorégraphies de danse. C’est un langage corporel, celui qui favorise les échanges, la compréhension, le partage. C’est une identité, celle de la résistance des peuples africains de la période de l’esclavage. Mais, c’est aussi une forme d’éducation, celle d’un éveil à la musique, au corps, à l’esprit, à l’histoire de son peuple, à la philosophie, à la vie.
La Capoeira, c’est aussi l’apprentissage des sens, le déplacement, l’équilibre, la notion de l’espace, le sens du timing ou la compréhension du Kairos, cette grâce du moment opportun, la perception auditive, l’acuité visuelle, l’odorat, le toucher.
De part son environnement d’empathie, la Capoeira offre à l’enfant une prise de confiance en lui au travers de son expression personnelle, de sa capacité à esquiver.
Plus important encore, parce que la Capoeira se joue avec l’autre et non pas contre l’autre, elle enseigne la relation à autrui. Comment vivre en coopération et non pas en compétition. Comment accepter les différences et ne pas les considérer comme des contraires. Respect et Tolérance, un bel enseignement pour vivre en société.
Ce matin là, la grande esplanade qui longe la rua San Antonio, s’est transformée en salle de classe pour les enfants de l’école maternelle. Sous le regard bienveillant des institutrices, une cinquantaine d’enfants disposés en cercle à l’extrémité duquel se tiennent deux instrumentistes. L’Atabaque, ce long tambour en forme de tonneau allongé, fabriqué de lattes de bois exotiques serrées les unes contre les autres grâce à des cerclages de fer. La percussion, à la sonorité grave, obtenue grâce à une peau tendue par un ensemble de cordages ceinturant et embellissant l’instrument, maintient le rythme de la Capoeira, amplifié et enrichi par le Pandeiro à la peau de chèvre tendue sur un cercle de bois intégrant de petites cymbales métalliques.
Et puis le Maître de Capoeira, vêtu d’un tee-shirt blanc, d’un pantalon blanc, de longues tresses de cheveux grisonnants presque blancs, d’un regard profond et d’un sourire enjôleur.
Il s’accompagne du Berimbau qui avec les chansons et le battement des mains, donne le rythme, insuffle l’énergie et encourage les capoeiristes.
Le Berimbau, c’est un bâton droit auquel est fixé une corde tendue pour le former en arc et à l’extrémité inférieure, une calebasse séchée pour caisse de résonance. La main qui supporte le Berimbau tient également une pierre qui se place entre la corde et le bois et permet de varier les sonorités. L’autre main tient une baguette de bois qui vient frapper la corde du Berimbau pour produire le son. Au creux de cette main, le joueur tient également un Caxixi, une sorte de hochet en forme de petit panier rempli de graines.
Le cercle est formé, les musiciens en place, les enfants attentifs et impatients, le Maitre de Capoeira désireux de transmettre son savoir, alors musique, que diable.
Comme il se doit, cela commence par un échauffement. Capoeira allongé, Capoiera assis, Capoeira debout, Capoeira lever les mains, Capoeira bouger, Capoeira tourner, Capoeira sauter, Capoeira applaudir, Capoeira embrasser, et ainsi de suite au rythme lancinant du Berimbau et des invitations du Maître.
Puis vient la répétition des mouvements de base, les déplacements toujours près du sol, le jeu des mains, les coups de pied et les esquives, enfin des enchaînements plus complexes et des esquisses d’acrobaties.
C’est alors le moment tant attendu de la Roda, où, accompagné des musiciens, le Maître entonne un chant traditionnel qui raconte les légendes et l’histoire de la Capoeira et de l’esclavage. Chacun leur tour, les capoeiristes rentrent deux par deux dans la ronde, cet espace rituel et circulaire, pour s’affronter, ou plutôt se confronter, sublimés d’énergie transmise par les encouragements et les claquements de mains des autres participants.
Entre combat et danse, fluidité des déplacements et acrobaties spectaculaires, arabesques et ondulations traversant l’espace, de la pétrification du geste à la précipitation du mouvement, le jeu de la Capoeira offre au regard du spectateur, saisi par la grâce, un éphémère festif et chaleureux emprunt d’énergie communicative, de liberté d’improvisation, de combinaisons de mouvements et une impressionnante maîtrise dans l’art que suppose la coordination harmonieuse avec son partenaire.
La Capoeira interpelle, séduit, impressionne, fascine.
Elle peut être acrobatique, rapide et spectaculaire.
Elle peut être douce, élégante, poétique et mystérieuse.
Elle est l’art de l’esquive.
« Le dribble n’est pas né par hasard au Brésil. Les premiers joueurs noirs ont commencé à dribbler pour éviter les contacts avec les défenseurs blancs et éviter de se faire rosser sur la pelouse et à la fin des matchs. Il s’est développé sur les plages et les terrains vagues, avec une pelote de chaussettes ou une petite balle en caoutchouc. C’est un mouvement de hanche, similaire à celui des danseurs de Samba et des lutteurs de Capoeira, ludique, acrobatique, audacieux et joyeux »
Olivier Guez
Eloge de l’esquive
La Capoeira possède cette aura de déclencher, autant chez ceux qui la regarde que ceux qui sont à l’intérieur de la roda, un déluge d’émotions, une jubilation, une effervescence de bonheur.
» La Capoeira est un jeu, un jouet. C’est le plaisir de l’élégance et de l’intelligence. C’est le vent dans la voile, un gémissement dans la senzala (lieu où vivaient les esclaves), un corps qui tremble, un Belimbau bien joué, l’éclat de rire d’un enfant, le vol d’un oiseau, l’attaque d’un serpent corail. C’est le rire devant l’ennemi. C’est se relever de sa chute avant de toucher le sol. »
Mestre Pastinha
Codificateur de la Capoeira traditionnelle dite Angola
Ce matin-là, sur la grande esplanade qui longe la rua San Antonio, c’était un pur moment d’Alegria, un sentimento de felicidade.
» C’est dans cet endroit quelle ira, Une panthère noire comme chat,
Rapide et dangereuse comme moi
Elle danse… Capoeira,
Elle fume de la macognia, Elle a les yeux verts comme toi,
Elle porte une arme sous le bras, Elle danse
Capoeira, Capoeira,Capoeira, Capoeira,Capoeira, Capoeira, Capoeira
Elle passe mais ne reste pas, Elle danse mais ne rêve pas,
Elle rêve mais elle ne dort pas
Elle pense… Capoeira
Bouche dorée et lèvre chaude ,Elle a la démarche d’un fauve
Jambe coupée dans ton alcôve, Elle t’appelle mais tu te sauves
Capoeira, Capoeira, Capoeira, Capoeira, Capoeira, Capoeira, Capoeira
J’ai tellement besoin de soleil, J’ai tellement besoin de sommeil
Je glisse doucement sur ta peau, de femme libre
Et tu m’enroules dans tes mondes, je suis ta cible
On se battra tant qu’on vivra, Moitié Rock et moitié Samba
On ira au-delà des sons, sans équilibre, Vers la folie et la passion, Jusqu’à l’air libre
Capoeira, Capoeira, Capoeira, Capoeira, Capoeira, Capoeira, Capoeira
Terrible sangsue je te laisserai ma peau, Ma cervelle mon cœur et mon sable chaud
Je te laisserai mes plumes et mon grand couteau
Je suis dans mon hamac camé à zéro
Laisse-toi aller sur ce tempo là, La vie et la mort c’est Capoeira
C’est un chant du Nord un sport de combat, Qui se danse encore, Capoeira
Une main ouverte et un poing fermé, L’une pour connaître l’autre pour cogner
C’est avec ta peau qu’on s’en sortira, Laisse-toi aller, Capoeira
Capoeira, Capoeira, Capoeira, Capoeira, Capoeira, Capoeira, Capoeira »
Bernard Lavilliers