Les Marquises – Le Tatouage

« Un jour dans les temps anciens, pour séduire Hina dont les parents étaient très protecteurs.
Les dieux Mata Mata Arahu et Tura’i Po, décidés à la séduire, inventèrent le tatouage.
Ils sont alors venus en pleine nuit et se sont présentés à Hina, leurs corps couverts de dessins bleus. Hina fut séduite. Ainsi ils ont gagné son cœur et elle s’est enfuie avec eux.
D’autres hommes décidèrent alors de les imiter et d’orner leurs corps.
Mata Mata arahu et Tura’i Po leur ont enseigné l’art d’imprimer des dessins sur la peau.
Depuis, les hommes se tatouent pour attirer la faveur des dieux et l’admiration des vahine. »

Légende Tahitienne

La technique du tatouage aux Marquises s’appelle patutiki, qui signifie frapper des images. Elle consistait en l’introduction dans le derme d’un colorant très foncé à l’aide de pointes isolées ou assemblées en peignes à tatouer, taillés dans de l’os, de la nacre, des dents ou de l’écaille de tortue. Un maillet en bois permettait de marteler le peigne afin de graver les motifs.
Le colorant employé était généralement obtenu à partir de la suie de noix de bancoul, mélangée à de l’eau ou de l’huile de noix de coco.

Il pouvait y avoir de deux à douze pointes, certains affirment même avoir vu des peignes avec trente six pointes. L’artiste dessinait le motif sur le corps à l’aide d’un bâtonnet de charbon de bois et incorporait ensuite son encre. La cérémonie du tatouage, véritable rituel au son des tambours, des flûtes et des conques, revêtait des airs de festivités.

 » Ton collier peut casser, le Fau (bois) peut éclater, mais ton tatouage est indestructible, c’est un joyau éternel que tu emporteras dans la tombe « 

Chant accompagnant la cérémonie du tatouage

Même si les chants avaient également vocation à couvrir l’intensité des cris témoignant de souffrances atroces.

 » La douleur était importante dans le tatouage. L’homme devait passer par cela pour montrer qu’il était un guerrier. Il n’y a aucune comparaison entre la douleur d’une machine et celle du peigne. »

Tavana Salmon – Tatoueur

Les hommes pouvaient être entièrement tatoués, le plus souvent de la tête aux pieds, y compris le crâne, les paupières, la langue. Les tatouages des femmes étaient moins étendus, habituellement limités autour des lèvres, des oreilles, des épaules, du bas du dos, des jambes, des pieds et du dessus des mains.

« Tous les villageois s’assirent par terre en formant un grand cercle. Après avoir broyé un morceau de charbon de bois sur une pierre et l’avoir mélangé à un peu d’huile pour en obtenir un mélange épais. Le maitre tatoueur y trempa un instrument d’os avec un tranchant comme un burin et une sorte d’herminette. Il le plaqua sur ma peau et le frappa deux ou trois fois avec une petite baguette de bois. C’était comme une lame de couteau qui s’enfonçait dans la chair et faisait jaillir une grande quantité de sang qu’il essuyait du dos de la main pour vérifier si l’incision était suffisamment nette. Une grande variété d’instrument fut utilisé, dents de requins, dents en forme de scie de tailles différentes pour s’adapter aux différents motifs. »

John Rutherford – 1816

Dans un monde de tradition orale, le tatouage était à la fois un habillement, un langage, un symbole de pouvoir et un titre de gloire, dispensé selon un rituel très élaboré. Il était un moyen de montrer l’importance sociale, le rang, l’appartenance familiale ou clanique, l’origine géographique, le courage et la force.

«Tout autant qu’un privilège, le fait de porter certains tatouages paraît bien avoir été aussi une obligation. Ceci s’explique par le devoir de respecter le contrat sacré qui unissait le Marquisien à ses ancêtres, à son environnement et à son univers».

Marie Noëlle Ottino Garanger – Docteur en archéologie préhistorique et Anthropologue.

Un des aspects fondamentaux du tatouage était son caractère sacré. Hérité des dieux, le tatouage était porteur de pouvoir surnaturel. Certains motifs étaient censés protéger l’homme de la perte de son mana, la force divine responsable de la santé, de l’équilibre et de la fertilité et le défendre des influences maléfiques.
Mais un tatouage allait également bien au-delà de la vie terrestre, et c’est sur le plan spirituel qu’il trouvait peut-être sa fonction essentielle. Indélébile, donc éternel.

«Cette œuvre inaltérable inscrite dans leur peau témoignerait plus tard de leur origine, de leur rang et de leur héroïsme au moment de comparaître devant leurs ancêtres : les dieux du légendaire pays d’Hawaiki»,

Karl von den Steinen – médecin allemand – 1897

Les images du tatouage, porteuses de savoir, de mémoire, d’enseignement, étaient à la fois un passeport social, une protection contre les maléfices et un passage vers le monde de l’au-delà.

C’est aux Marquises que le tatouage atteint son apogée de par la grande richesse et l’élaboration de ses motifs qui se rapportent aux éléments naturels, aux plantes, aux animaux, à la nature humaine, aux légendes. Les motifs marquisiens ont un style particulièrement géométrique. Le tiki, premier homme devenu un ancêtre déifié est souvent représenté. Pour l’œil novice, il est pratiquement impossible de reconnaître l’aspect d’un tiki, tant il est stylisé de différentes manières. Il en va de même pour les motifs d’animaux et de plantes, très géométriques également. Tortue, lézard, raie, murène, tête de poisson, bambou, racine de banyan, feuille de cocotier. Tout l’univers et toutes les préoccupations des marquisiens se donnaient à lire sur leurs corps.

 » Dans mes tatouages, je fais toujours apparaître un tiki. Les tiki sont un peu l’emblème des Marquises et protègent toujours une partie de nos îles. Certains disent qu’ils sont malveillants. Moi je crois que cela dépend des intentions que l’on a, à leur égard. Si on les respecte, ils nous respecteront.  »

Siméon Huuti – Tatoueur

Mais des valeurs fondamentales, ils ne demeurent que quelques dessins et souvenirs dont les anciens n’avaient pas voulu livrer l’histoire et la signification.
Bien des clefs de compréhensions se sont perdues à la fin du dix neuvième siècle avec les derniers Tuhuka ou Tuhuna Patutiki, tatoueurs des Marquises, sous la pression des guerres, des maladies, des changements de société et de l’idée que transmettre, dans un contexte si profondément modifié, n’avait plus de sens.

 » Cela ne signifie pas que cette coutume n’a pas d’histoire pour la simple raison que celui qui la porte ne sait plus rien à son sujet. »

Karl von den Steinen – médecin allemand – 1898

Une part des motifs fut cependant sauvé grâce à quelques personnes, des membres de la première expédition russe autour du monde Tilesius et Langsdorff, un médecin allemand Karl von den Steinen ou encore Madame Handy lors de l’expédition du Bishop Muséum de Hawaï.
Des femmes et des hommes de bonne volonté, des Humanistes, curieux, ouvert aux autres, attachés à comprendre le sens de l’art qui leur procurait tant d’émotions.

Depuis la fin du vingtième siècle, en faisant redécouvrir le savoir-faire ancestral du tatouage, des artistes ont pu ouvrir la voie aux Polynésiens dans la sauvegarde de cette coutume. On assiste donc à un véritable renouveau du tatouage. Certes l’esthétique et les motivations ont changé. Le caractère sacré et religieux s’est estompé, mais le sens profond de cette pratique demeure : marquer dans sa peau et de façon durable une histoire, un souvenir, une expérience, une identité.

Alors pour que perdure un art unique le Patutiki o te Henua Enana, le tatouage de la Terre des Hommes, cette écriture à la beauté charnelle, il faut faire confiance à la jeunesse, son sens de la créativité, de l’innovation, de l’insolence, son immense respect pour les anciens et sa fierté d’appartenir à une culture hors norme. C’est ainsi que vivra l’âme des Marquises.

Non la copie conforme de celle des origines, perdue à jamais dans la nuit des morts, mais une âme du présent qui intègre et revitalise le meilleur de l’héritage ancestral, le savoir-vivre coutumier en harmonie avec la saisissante beauté de ces îles.
C’est ainsi que dans la nuit tombante continuera de retentir, à jamais, un cri de guerre, lancé du plus profond des entrailles, surgi du fond des âges, jailli du tréfonds de l’âme.

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PS : La photo du tatouage, à la une de l’article, est extraite du livre Te Patutiki, Dictionnaire du Tatouage Polynésien des Iles Marquises de Teiki Huukena

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3 commentaires

  1. Brigitte Barreri

    Gerald tu nous fais voyager à travers le temps dans cette odyssée du tatouage .
    Est ce donc aux Marquises que cet « art » est né ?
    La main du tatoueur doit être sûre et l’esprit créatif avec un sens aigu de l’esthétique .
    Il me tarde de découvrir cette pratique.

  2. « Un jour dans les temps anciens, pour séduire Hina dont les parents étaient très protecteurs.
    Les dieux Mata Mata Arahu et Tura’i Po, décidés à la séduire, inventèrent le tatouage.
    Ils sont alors venus en pleine nuit et se sont présentés à Hina, leurs corps couverts de dessins bleus. Hina fut séduite. Ainsi ils ont gagné son cœur et elle s’est enfuie avec eux.
    D’autres hommes décidèrent alors de les imiter et d’orner leurs corps.
    Mata Mata arahu et Tura’i Po leur ont enseigné l’art d’imprimer des dessins sur la peau.
    Depuis, les hommes se tatouent pour attirer la faveur des dieux et l’admiration des vahine. »

    C’EST UNE LÉGENDE TAHITIENNE PAS MARQUISIENNE!

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