Certains historiens affirment que les dominos existaient en Egypte, au temps de Toutankhamon.
D’autres prétendent qu’ils viendraient de Chine et que ses créateurs se seraient inspirés du Mah-jong. D’autres encore affirment que ce jeu aurait été inventé vers 1120 après J-C. Il aurait été présenté devant l’Empereur Hwui Tsung qui aurait placé les dominos avec son trésor. On raconte aussi que les dominos seraient une modification chinoise du jeu de dés indien, transformant les dés en pièces plates réversibles.
Certains, dont je suis, pensent que les dominos trouveraient leur origine avec les marins qui auraient inventé ce jeu pour agrémenter le temps entre deux quarts ou deux corvées. D’ailleurs les premiers jeux de dominos retrouvés étaient fabriqués avec des os de baleine.
Les dominos étaient fabriqués de diverses matières, en papier, sur forme de cartes, gravés dans du bois, mais aussi en ivoire ou en os blanc.
Mais trêve de la petite histoire, venons en à la grande histoire. Celle qui se déroule sur la terrasse du Teatro Chico, à l’abri d’une pergola couverte de végétation, non loin de l’estaminet Azabache.
A Santa Cruz de La Palma, le Mercado municipal ouvre ses portes chaque matin de la semaine.
Alors chaque matin de la semaine, Vincente, Luis, Enrique et Juanito se retrouvent vers dix heures autour de la seule table installée sur la terrasse.
C’est la table, celle réservée aux artistes des dominos, aux princes du double six.
Ceux qui font virevolter le gros papa, le gros père du double-six, la patrouille du double cinq qui date des beaux temps de la Garde nationale avec quatre hommes et un caporal, la blanchisseuse ou la blanchinette pour le double blanc, le quatuor ou le catouilleux qui figure le double quatre.
Pour les trois heures qui suivent, on taquine l’os avec entrain mais aussi ses adversaires avec bonhomie, les dominos claquent sur la table. Les parties passionnées se succèdent sans fin, enfin presque.
Tout d’abord, les dominos, à l’image d’un costume de carnaval, noir sur le derrière, blanc sur le devant, sont remués, s’entrechoquent dans un cliquetis joyeux et bruyants sur la table, pour inviter au jeu la magie du hasard.
Puis le jeu. Un jeu innocent d’enfants ? Que nenni !
Combien d’ingénieuses combinaisons auxquelles peuvent se prêter ces simples dominos rangés et alignés suivant les règles de l’art ?
Alors de la mémoire, de l’attention soutenue, pour se rendre compte du fort et du faible de l’adversaire, de la méditation réfléchie, de la perspicacité avisée, de la psychologie du partenaire et des adversaires, de la décision prompte et sûre.
Vincente, cigare aux lèvres, un robusto de la maison Montealto du Docteur Ernesto Gonzalez Perez, le grand père du tabac de La Palma, chemise rayée aux couleurs du tabac, la casquette bleue de travers protège ses dominos avec tendresse du regard de l’adversaire.
Luis, une barbe permanente de deux jours, moustache grise, cheveux gris, la carrure imposante, le regard fier, hâbleur, aguicheur, fanfaron, taquin, moqueur, goguenard, facétieux, commente de sa voix de stentor chaque coup joué avec malice.
Enrique, à l’annulaire de la main gauche, une bague de pierre précieuse, héritée de sa mamie qui lui a tout appris des subtilités du jeu et tant d’autres essentielles de la vie. C’est un esthète, il fait danser, tournoyer, esquiver chaque domino avant de le placer avec douceur, un sourire discret au coin des lèvres.
Juanito, le béret vissé sur le crâne, l’intellectuel, fort de son calcul mental, il tient les comptes de la partie, il parle l’anglais tout du moins jusqu’au « good morning » adressé aux touristes de passage.
Et puis, partie après partie, le soleil montant dans le ciel, les chopes de bières descendant, c’est Angelina qui sonne l’heure de la pause en apportant une assiette de papas bravas y bacalao pour éviter une hypoglycémie à Vincente, Luis, Enrique et Juanito.
Les dominos claqués, les cigares consumés, les plaisanteries épuisées, les bières réchauffées, la matinée évaporée, la partie de dominos prendra fin jusqu’au lendemain où comme chaque matin de la semaine, Vincente, Luis, Enrique et Juanito se retrouveront vers dix heures autour de la seule table installée sur la terrasse.
C’est la Table avec un grand T, celle réservée aux artistes des dominos, aux princes du double six.