Mindelo – De l’art du commerce

Bien sur, il y a quelques magasins de belle facture avec pignon sur rue, à commencer par les trois Supermercado, aux devantures bleu océan de l’enseigne Fragatta de Dom Luis, surveillés de près par les vigiles, plus nombreux que les rayons du magasin ou que les hôtesses de caisses bien que je ne suis pas certain que cela soit le terme employé localement.

Incontournables pour tout ce qui n’est pas comestible, les bazars chinois. Et croyez moi, chinois certes, avec leur réputation légendaire du sens du commerce, mais bazar ce n’est pas peu dire avec des rayons constitués d’empilements d’arrivages de produits de toutes sortes qui menacent à tout instant d’ensevelir la clientèle, sans compter les vêtements suspendus au plafond ou comment optimiser le moindre espace. Aux mains de la diaspora chinoise du Cap Vert, sans doute les magasins les plus nombreux de la ville, tout autant surveillés que chez Dom Luis. Cette fois-ci pas de vigile mais toute la famille au grand complet, qui sans en avoir l’air, sous prétexte de l’attention portée aux clients, est bien aux aguets, sans compter les caméras de surveillance. On y achète de tout, de la montre en or à la charpente métallique, enfin presque.

On trouve également des magasins d’un autre âge, principalement les quincailleries avec des embrouillaminis de pièces ou de matériels d’un autre âge. A l’ombre de l’église se trouve la Casa Gaspar qui se veut un comercio geral. Il y a bien longtemps que la poussière en a fait son royaume, recouvrant tout, la petite ampoule suspendue au plafond par un fil dénudé qui n’éclaire plus grand chose, le vieux poste radio des années cinquante avec ses piles de l’époque qui ne diffuse plus grand chose, le comptoir patiné par le temps, la caisse enregistreuse qui ne tinte plus depuis des lustres et même le quincailler, Gaspar droit comme un bambou dans sa blouse grise, sourire figé, impassible. Il n’a plus d’âge. Ses cheveux grisonnants ont fini par prendre une teinture poussiéreuse à souhait pour s’accorder à une certaine harmonie du décor.

Sur la place de la mairie opèrent la corporation des cordonniers, cireurs de chaussures. Point de pas de porte mais quelques fauteuils en bois destinés à la clientèle au centre d’une petite pergola ouvert à tout vent, avec un toit en tôle ondulée sous lequel les cordonniers, assis au ras du sol sur de petits tabourets, une planche de bois posée sur les genoux en guise d’établi, quelques chutes de cuir, un nécessaire à coudre, réparent au vu des passants, les chaussures, toutes les chaussures, quelque soient leurs états, même les plus désespérés. Les chaussures remises à neuf s’exposeront sur le toit de la pergola dans l’attente de leur propriétaire, témoignant du savoir faire de la corporation.

Et puis comme partout aujourd’hui dans le monde, les nouveaux marchands du temple, ceux de la mondialisation. Dédiés au culte de la déesse Hypercommunication, les deux plus beaux bâtiments, CV Télécom et Unitel. L’un, très ancien, survivance de l’époque coloniale entièrement rénové avec tout l’éclat requis aux nouvelles technologies. L’autre tout neuf, un cube de verre qui ne dépayserait pas au sein de n’importe quel quartier d’affaires. Les va nu-pieds ne rentrent pas. Tenue correcte exigée à l’entrée, ce qui n’est pas sans rappeler le triste souvenir des petits kiosques à boisson de la grand-place de Mindelo, la Praça Amilcar Cabral, où du temps des colons portugais, ceux qui ne possédaient pas de chaussures étaient bannis. C’est ainsi que Cesaria Evora devint la Diva aux pieds nus et refusa, jusqu’à sa mort, de fréquenter ces petits kiosques, lieux de malédictions, pourtant pas très éloignés de sa maison.

Mais le poumon, j’allais écrire les tripes de la ville, le cœur des Mindelenses, l’âme de Mindelo, il vous faudra la chercher du côté du Marché au poisson, juste après avoir longé une réplique de la tour de Belem, au bout de l’Avenida da Républica qui borde la magnifique baie de Mindelo. Dès potron-minet, au premières lueurs de l’aube, au sein des deux grandes halles juxtaposées, l’activité s’éveille avec le retour des premiers pêcheurs accostant sur la jetée menant directement au marché, jusqu’à devenir une ruche bourdonnante et frénétique.
Dès lors, le disque du soleil s’élevant dans le ciel, exhalera le parfum des odeurs fortes, entêtantes jusqu’à l’écœurement, qui ne quitteront plus les lieux jusqu’à ce qu’il s’évanouisse à nouveau sous l’horizon.

Bien sur, il y a la vente au détail avec du poisson frais, mais aussi à peine décongelé, sortant tout juste des armoires frigorifiques, du mérou, de l’espadon, du rouget, de la murène, du thon, du poulpe, du calamar, des soles et des maquereaux, surtout des maquereaux, des bancs entiers de maquereaux, des quantités de maquereaux à profusion.

Mais il y a surtout le négoce, celui du maquereau bien entendu, destiné aux grossistes, semi-grossistes que sont les petits revendeurs ambulants qui s’en vont sillonner tout les quartiers de la ville à la rencontre des clients des rues. Entendons nous bien, le gros c’est une brouette pleine à ras bord qu’emporte, à bras, un homme, le semi-gros c’est une bassine posée en équilibre sur la tête d’une femme. Il y a même le quart-gros, un simple plateau ou couvercle en plastique contenant une douzaine de poissons.

Un vrai charivari, des caisses jetées à la volée, des seaux balancés, des jets d’eau qui serpentent, de gros couteaux qui tranchent, des plus petits qui effilent, avec des engueulades monstrueuses, des énervements, des hurlements, des explosions de cris des vendeuses, ici la criée porte on ne peut mieux son nom. Depuis leur prise dans les filets, les poissons n’auront pas le temps de respirer, d’ailleurs à quoi bon. Ils déambulent sans répit, en caisse depuis les barques des pêcheurs jusqu’à la pesée, vite expédiée, pour se déverser aussi tôt dans les étals, avant de gagner brouettes, bassines, couvercles. Nettoyés, vidés, écaillés, rincés, ils n’auront pas eu le temps de rendre leur dernier souffle.

Dans un coin du marché, les femmes ont cuisiné de la soupe de légumes et de la cachupa, du maïs, des haricots, des fèves, du manioc, des patates douces, des légumes, de la viande de porc, du poulet et du chorizo. Le tout savamment mariné puis mijoté près de trois heures, à l’intention des pêcheurs de retour de mer et des travailleurs du marché. Alors tout le petit peuple se presse espérant l’une des assiettes ou bols préparés contre un coup de main pour décharger les barques ou pour nettoyer les poissons ou un simple sourire. Les nombreux petits chats qui ont élu domicile entre les étals sont tout autant à l’affût de la moindre pitance qui viendrait à tomber sur le sol à portée de griffes ou qu’une main généreuse viendrait déposer.

Tout comme la musique à la mélancolie joyeuse, la faim hante ces lieux et bien d’autres à Mindelo, ainsi que ne manquera pas de le rappeler Nacia Gomi qui est au Batuque ce que Cesaria Evora est à la Morna. Alors que le gouvernement du Cap Vert souhaitant lui apporter sa reconnaissance lui remettait un passeport diplomatique, elle déclara à la fin de la cérémonie qu’elle était contente de l’honneur qu’on lui faisait en ajoutant qu’elle avait faim.

 

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Un commentaire

  1. Comme toujours quand tu racontes tes mots nous font venir les images et c’est un peu comme si on y était,mais au fait je vais y être bientot pour mon plus grand bonheur…..

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