Le Thon Rouge des Marquises

« Il est où, le profit pour les Marquisiens avec ces thoniers industriels venus de Tahiti, payés en grande partie avec l’argent de la défiscalisation et l’autre partie d’on ne sait pas où  ?
Et même s’ils embauchent quelques Marquisiens pour la photo, le profit risque d’être de courte durée, car les derniers stocks de Big Eye, le thon obèse, vont rapidement disparaître à cette allure ! « 

C’est la clameur de Joseph, un Marquisien en colère qui s’oppose comme d’autres au projet :
Toa Hiva Marquesas Fisheries.

Ce projet dont la Communauté de communes des Iles Marquises est à l’initiative, veut répondre au manque d’emploi et d’activités économiques alors que les eaux des Marquises abondent en gros thons rouges avec l’ambition que la Terre des Hommes devienne la Terre d’emplois productifs durables.

Les deux porteurs du projet sont Tutu Tetuanui et Eugène Degage, ce dernier, ancien pêcheur est aujourd’hui propriétaire de la compagnie de ferries Aremiti qui assure la liaison Papeete – Moorea.

Pas de pêche sans flottille, mais dans le cadre de ce projet cela s’apparente davantage à la grande armada : trente bateaux de treize mètres, des bonîtiers spécialisés pour le thon, ainsi que vingt quatre navires de quinze mètres, mais également douze bateaux de vingt quatre mètres et six bateaux de cinquante mètres équipés de surgélateurs.
Cette flotte serait en cours de commande pour être entièrement fabriquée en Chine.
Les bateaux restent à construire, mais les premières exportations sont envisagées pour 2018.

Il faut espérer que cette armada ne subisse pas de mauvais sort telle La Armada Grande, l’Invincible Armada, forte de cent trente vaisseaux envoyée par Philippe II pour envahir l’Angleterre. Harcelée depuis Plymouth par les Anglais, désorganisée par des brûlots, elle livre bataille devant Gravelines. La maniabilité des vaisseaux anglais et la puissance de feu de leurs canons rendent impossible le combat d’abordage, transposition du combat de galères. Poursuivie jusqu’au nord de l’Ecosse, décimée par les tempêtes, l’Armada rentrera avec 65 vaisseaux mettant fin à l’hégémonie navale espagnole.

Les marchés visés sont l’Asie, la Chine, le Japon et les États-Unis avec un objectif de trois mille tonnes par an, soit environ dix tonnes par jour.
Les deux marchés visés par les associés sont le frais et le congelé à moins 60°C, soit la qualité requise pour le sashimi.

“La qualité sashimi nécessite également des délais très courts. C’est-à-dire, précisément un maximum de 14 jours entre le jour de pêche et la vente sur l’étal. Or, aujourd’hui, il faut cinq jours de Tahiti pour y aller et cinq jours pour revenir, pour cinq jours de pêche. On est déjà à 15 jours. On est hors délai, d’où la nécessité que les bateaux soient positionnés aux Marquises. Il faut mettre le filet là où il y a le poisson. Avec notre projet, en moins de six jours, on est sur le marché international”, précise Tutu Tetuanui.

À peine pêché, déjà envolé. Cette production journalière équivaudrait à deux avions Air Tahiti, transformés en cargo. La marchandise serait acheminée à Tahiti, entreposée à l’aéroport de Tahiti-Faa’a dans des hangars frigorifiés dédiés, avant d’être exportée à l’international, pourquoi pas le soir même, selon les vols en partance.

C’est un investissement cent pour cent polynésien, assurent en chœur, les investisseurs.
Le projet estime à six cents, la création, à terme, d’emplois directs aux Marquises.
Chaque marin serait payé quatre vingt quinze mille Francs pacifique par mois, comme l’impose le statut, plus une quote-part selon la pêche.
 » C’est une belle opportunité pour les gens de se construire un avenir aux Marquises avec des salaires de deux cents à deux cents cinquante mille Francs pacifiques et plus de deux fois plus pour un capitaine.  » assure Eugène Degage.

Pour la Communauté de communes des Marquises:

 » Il n’est un secret pour personne dans la Polynésie d’aujourd’hui : vingt ans après la fin des essais nucléaires sous terrains de Moruroa et de Fangataufa, le pays et l’archipel des Marquises se sont englués dans une logique économique implacable de destructions d’emplois, d’incapacités, de paupérisation de la population particulièrement, dans les milieux urbains. Fixer les ménages dans leurs îles se heurte à des activités économiques en panne. Stopper le départ de nos forces vives, de nos jeunes vers la capitale Papeete relève de l’insoutenable. »

Et pourtant au coeur de la population des Marquises, ce projet suscite plus d’inquiétudes que d’enthousiasmes.

 » Pourquoi vouloir détruire notre environnement unique au monde ?  »

Il est vrai que dans ce projet, on ne parle pas de pêche avec des senneurs, lesquels attrapent toutes sortes de poissons et de mammifères, notamment dans des catégories protégées comme les tortues, les dauphins, qui sont ensuite rejetés sans vie à la mer.
Il s’agit de pêche à la palangre comme il est de tradition en Polynésie.

Cependant, victime de la surpêche, le thon obèse est déjà en situation très délicate dans le monde. Selon la FAO, sa population s’est effondrée de 84 % dans le Pacifique sud.
La Fédération des associations de protection de l’environnement de Polynésie française a exprimé également son inquiétude dans un communiqué :

« La commission thonière internationale qui régule la gestion durable des ressources dans le Pacifique sud et central, appelait récemment à une diminution de 36 % de l’effort de pêche de cette espèce pour retrouver un niveau de prélèvement durable du stock. »

« Nous Marquisiens, notre mer nous nourrit, nous avons tous du poisson à manger dans nos assiettes et nos enfants grandissent bien, ils vont se baigner dans une mer propre.
Nous ne voulons pas échanger notre garde-manger contre de l’argent pour aller acheter du thon ou du maquereau en boîte au magasin quand il n’y aura plus rien.
Nous ne voulons pas aller nous baigner dans une mer morte, polluée, et attraper des maladies. Celui qui veut aller pêcher, il attrape facilement du poisson, celui qui ne va pas pêcher, il achète du thon à cinq cents franc pacifique le kilo et fait vivre le petit pêcheur local.
Nos enfants ont encore la chance de voir, apprendre, connaître la richesse de notre mer, thon, thazard, raie manta, ature, requin, tortue, etc. Pourquoi vouloir détruire notre environnement unique au monde, porteur de richesse pour les générations futures !  »

Kaikahi – Marquisien

Les petits pêcheurs qui approvisionnent leur famille ou le marché local n’ont pas les moyens d’investir dans une grosse flotte de pêche et d’ailleurs, ils n’en éprouvent pas l’envie ni le désir.

Le peuple de la Terre des Hommes comme nombre d’autres peuples premiers ou racines a un changement de regard à nous offrir.

Uien n’ore cele, l’Esprit de l’Océan, pour le peuple Kanak
Mana, le Pouvoir Spirituel, pour le peuple Polynésien
Mauri, les Forces de la Vie, pour le peuple Maori,
Plus qu’une étendue d’eau ou qu’un garde-manger,
Pour la plupart des peuples insulaires du Pacifique, la Terre, la Mer et l’Homme ne font qu’Un.

La notion du temps de la Terre des Hommes étonne parce qu’il n’est pas destiné à produire mais à vivre. Ce qui l’entoure n’est pas une matière première, mais un don de la Nature qui lui permet de vivre.

Même s’ils ont peu d’objets, ils possèdent des beaux objets et adaptés à leur usage.

Mais surtout, ils ont une abondance de vie :
La Vie est chaude, douce, belle, agréable à caresser, et elle est gratuite.
La Vie est une abondance de temps, de liens humains, de partage, de beauté, en fait de ce qui constitue l’essentiel.

Le Marquisien ignore les ambitions des autres hommes.
Il est peu enclin au travail de la terre. Généreux dans son indigence, magnifique dans son humilité, le Marquisien abandonne cette terre féconde à Dame Nature. Il lui préfère la cueillette, la chasse aux cochons sauvages, la pêche. Les Marquisiens n’abusent pas de leur Nature, si jamais un dieu de l’ancien temps venait à se réveiller mécontent, et se mettait à réclamer de nouveaux sacrifices…

Non, tout simplement, il n’y a pas cette idée, colportée par les nouveaux dieux, non moins exigeants en sacrifices, de consommation effrénée, de compétition, de rentabilité, de profit. Alors, ils ne cueillent, chassent, pêchent que pour subvenir aux besoins immédiats de leur famille.

Quant à lui, il se laisse vivre, faisant bon ménage avec sa condition de vie. Installé dans son flegme naturel, il supporte le cours du temps avec une indifférence superbe. Et les siècles s’écoulent sans rien changer à son insouciance.

Ce n’est pas vraiment le lot du modèle de notre soi-disant civilisation occidentale.
Oui, bien sûr ! Dans la société, des droits nouveaux désormais, sont acquis pour les ­femmes, les couples, les homosexuels, les étrangers, les minorités, la presse, les associations, la société civile, sans toutefois en méconnaître leur fragilité. Il existe ­dorénavant une culture générale qui s’est imposée pour l’instant et qui insuffle un certain air de liberté.
Mais notre époque est maintenant confisquée, accaparée, spoliée, violentée par les financiers qui ont supplanté les entrepreneurs, s’accompagnant d’une pression constante sur le temps, l’argent, les impératifs de rentabilité non pas tant économique que financière, quelqu’en soient les conséquences sur les femmes et les hommes, n’importe comment, à n’importe quel prix.
Le consumérisme et l’ignorance des citoyens qui vivent loin des lieux d’exploitation des ressources naturelles ou de production des biens de consommation et n’ont aucune idée du coût écologique et humain de leurs achats.
L’indifférence pour la signification de ce que représente la Nature, profane, violente, épuise la face de notre petite Planète Bleue, seule oasis de Vie que nous connaissons au sein d’un immense désert sidéral.

Cette époque prive nos enfants du droit à l’insouciance.

Alors une question se pose :

Est ce que l’humanité s’accomplit dans un monde où la recherche du profit à tout prix est omniprésente ou est ce que l’humanité s’accomplit dans un monde où elle se sent en harmonie avec son environnement ?

Face aux vents qui chantent les paroles des légendes anciennes, aux nuées, à l’océan immense, aux dieux, au néant vaste et noir, la Nature aux Marquises dans sa beauté sauvage ne cesse d’affirmer la fragile existence des hommes.

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Un commentaire

  1. Gérald grâce à tes articles tu nous fais partager des rêves des photos juste splendides (pour ma part j’ai la chance de pouvoir les vivre à tes côtés) mais aussi des prises de conscience que tout n’est pas beau et rose, que nous devons connaître pour comprendre les enjeux qui conduisent à des actions répréhensibles et destructrices de notre belle mère nature, de la mise en péril d’équilibres fragiles.
    Merci
    Brigitte

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