La Martinique – Le Rhum

J’avoue. J’ai vécu une vie de frivolité, insouciante aux cyclones qui pourrait mettre fin prématurément à mon existence. Quelques mois à me prélasser dans un champs, à me gorger de soleil, à boire sans soif, jusqu’à connaître le frisson de la lame aiguisée d’une machette. Chargée en vrac dans une charrette puis dans le cachalot, cet immense semi remorque, je traverse l’ile pour mon seul et unique voyage.

Devant moi, c’est un monstre d’acier fumant au milieu des champs de canne à sucre, dont s’échappe des volutes de fumée blanche, des jets de vapeur, des bouffées de chaleur sucrées, des odeurs âcres de cannes broyées.

Cela commence par le site des balances où avec mes sœurs, les petites cannes à sucre,

« J’ai longtemps habité sous de vastes portiques
Que les soleils marins teignaient de mille feux,
Et que leurs grands piliers, droits et majestueux,
Rendaient pareils, le soir, aux grottes basaltiques.
 »

Sous les vastes portiques s’entassent déjà quelques centaines de tonnes de mes sœurs, les cannes, qui sont régulièrement repoussées par les grappins des tracteurs, tandis que d’autres grappins, se déplaçant sur les portiques, saisissent d’énormes chargements, qu’ils vont déposer un peu plus loin, au-dessus d’un tapis à chaîne, qui entraîne les tiges vers les coupes cannes.
Le cachalot qui me transporte parmi vingt tonnes de mes semblables avance lentement vers le tapis roulant de la fosse de réception, terminus du voyage.

Sans crier gare, je suis emportée dans le défibreur puis dans un moulin. Par chance je me retrouve dans le vesou et non la vulgaire bagasse qui finira sa vie, brulée dans la centrale, tout juste bonne à produire de la vapeur.

Je suis alors chauffée et mélangée au lait de chaux, puis réchauffée de nouveau et dégazée, ce qui provoque la précipitation des particules en suspension dans le jus.
Après le chaulage, je continue mon odyssée dans les décanteurs, et échappe aux boues qui retourneront en épandage dans les champs pour me joindre au jus clair.

Concentrée avec de la vapeur, je suis un régime amincissant des plus vigoureux qui me fait perdre mon eau pour devenir sirop. J’échappe de peu à la cristallisation et au vulgaire morceau de sucre à la vie si monotone.

Enfin après avoir été déchiquetée, pressée, épurée, filtrée, réchauffée, clarifiée, évaporée, une expérience bien vivifiante, je rejoins la mélasse, mon rêve de toujours, celui de petite fille depuis que je suis petite canne à sucre, un destin de star. Celui de la distillation, je vais jouer dans une super production, haute en couleurs et saveurs, celle du rhum. A moi les alambics, les futs de chêne pendant de nombreuses années où je vais côtoyer la part des anges, les bouteilles de prestige en cristal et le palais des connaisseurs. Une belle vie.

C’est une boisson à l’histoire fascinante où interviennent esclaves, colons, et pirates. Tout d’abord, le rhum est une eau-de-vie qui procure du plaisir aux papilles et donne chaud au cœur. C’est aussi un élixir qui délie les langues et sublime l’amitié. Il participe enfin à certains des cocktails les plus renommés : mojito, punch, daïquiri, cuba libre, pina colada.

Je suis convaincu qu’un jour le corps médical finira par admettre tous les bienfaits de ce breuvage. Il n’est pas possible que le rhum soit seulement bon à boire : si on est bon, vraiment bon, on l’est pour tout.

D’ailleurs, un simple verre de jus de canne frais vous apporte de la vitamine B1, B2, B3 mais aussi de la vitamine C en passant par le calcium et sans oublier le fer.

Ce qui est certain, c’est que le jus de canne est riche en saccharose. Il est d’ailleurs recommandé aux sportifs pour ses valeurs nutritives, stimulantes et énergétiques. Mais n’importe qui peut en consommer, pas la peine d’être sportif.

Le jus frais est également conseillé aux enfants pour lutter contre les vomissements. Il est efficace contre les rhumes, les maux de gorge et la grippe. Produit alcalin dans la nature, il permet aussi à l’organisme de lutter contre le cancer, en particulier celui de la prostate mais également le cancer du sein. La canne à sucre renforce l’estomac, les reins, le cœur, les yeux, le cerveau ainsi que les organes sexuels. Certains vont jusqu’à louer les propriétés aphrodisiaques du jus de canne.

Alors, une fois distillée, concentrée, subjuguée, magnifiée, la canne à sucre, devenue rhum devient inévitablement un remède, que dis-je le Remède, celui qui remplace à lui seul l’ensemble de la pharmacie.

Le rhum est une eau de feu, née de la distillation de la mélasse ou encore mieux, directement du jus fermenté de la canne à sucre. On retrouve des traces du procédé dans les civilisations les plus anciennes de la Chine antique à l’Égypte des pharaons, en passant par l’Inde. En Espagne, les méthodes de distillation du sucre de canne ont été introduites par les Arabes aux alentours du onzième siècle.

Il faut bien dire en toute objectivité que c’est à La Martinique que l’on trouve les meilleurs rhums. Les rhums agricoles produits à partir du jus de canne fermentée, dans pas moins de sept distilleries qui ne manquent pas d’exhaler la part des anges dans la douceur tropicale.

Clément, JM, La Mauny, Dillon, Depaz, Saint James, Trois Rivières, Neisson, Maniba, Bally, Duquesne, Saint Étienne, Monna, La Favorite, Gaston Hardy, j’en passe et des meilleurs..

Voilà, vous avez le choix pour vous accompagner tout au long de la journée sur votre route du rhum depuis le décollage, premier feu du matin, le pete-pied, pour vous lever du bon pied, le cocoyage, s’il vous prenez l’envie d’un grand verre d’eau de coco, puis sur le coup de midi, le ti-langoust, avalé d’un seul trait, avant que ne surgisse dans l’après midi, l’heure du Christ, le folibar ou bien encore le trafalgar. Il ne vous restera plus, à la nuit tombante qu’à succomber à une petite partante, avant le vaten-coucher et faire de beaux rêves sous un ciel constellée d’une myriade d’étoiles avec le secret espoir d’une nouvelle route du rhum à venir.

Pour ce qui est du rhum qui a sagement vieilli en fut de chêne pendant de longues années, ma préférence va pour le JM 1998 et son alter ego La Mauny 1998, en attendant un prochain millésime.

Passez moi donc, la bouteille :
Riche en arômes épicés et de fruits secs, rondeur en bouche exceptionnellement longue, personnalité complexe, gout velouté et persistant, arômes subtils de fleurs fanés, équilibre inégalable en bouche, notes complexes d’herbes, de fleurs, de cannes à sucre et de zeste d’orange, notes riches de vanille et de bois, palette aromatique puissante et pure évoquant la banane mure, des notes épicés complexes qui rappellent les fruits exotiques et en bouche, des nuances élégantes avec une pointe de réglisse.

Le rhum, un élément essentiel de la vie, voire de la survie du marin. Pas de corsaire, de flibustier, de pirate, de Royal Navy sans provision de rhum. Le corps de l’amiral Nelson, tué à Trafalgar fut transporté à Londres, selon ses volontés, dans un tonneau de rhum. La garde d’honneur ne résista pas au plaisir de se servir. Il en demeure l’expression « se taper l’amiral » pour boire un coup discrètement.

Et puis il y a la cuvée du Rhum des Pirates qui possède la particularité de voyager, autrefois sur les frégates, de nos jours de foudre en tonneaux mais aussi à bord de quelques voiliers voyageurs.

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