Ce matin là, alors qu’approchait midi, la rua Santa Maria s’était emplie d’un pèle-mêle de personnalités toutes aussi différentes les unes des autres avec cependant une aura propre à ceux qui se savent observer, un œil malicieux, emprunt d’une légère fierté, une coquetterie, une certaine élégance. Il y avait là:
Amália drapée d’un spencer à la blancheur immaculée masquant un décolleté à faire frémir tout marin de passage que son boléro ne demandait qu’à dévoiler.
Cristina au teint blafard que le rouge éclaboussant ses lèvres exacerbe. Elle porte sa main gauche couverte d’une mitaine en soie à son visage qui est comme saisi d’une tristesse mélancolique. Une larme infinie s’écoule comme si le temps s’était évanoui dans un amour perdu.
Plus loin, à la terrasse d’un café, c’est Faustina, la chevelure bien apprêtée, un collier et des boucles d’oreille d’un rouge rubis, assise bien droite dans un fauteuil rouge rubis tout en cambrure et rondeur, tenait à la main une flûte rouge rubis emplie d’un champagne français, sans doute la cuvée Belle Époque qui lui correspond tant. Elle rendrait rouge pâmoison tout passant qui se hasarderait à lui jeter un regard.
Au détour d’une ruelle traversante, au loin une apparition, c’était Salomé, le visage drapé d’un turban en lin teinté d’indigo comme pour mieux mettre en scène son regard qui vous transperce. Des yeux d’amandes qui vous fixent sans jamais sourciller.
Alors que Joanna, chapeau à damiers, déambule comme une parisienne mutine vous jetant un regard par dessus l’épaule sans en avoir l’air tout en jouant de son éventail.
Regagnant sa cabane de pêcheur, José arbore fièrement l’Espada le mythique poisson sabre, corps allongé, tout de noir vêtu, les dents bien acérés, les yeux exorbités, venu des grandes profondeurs.
Aglaopé au beau visage, Aglaophone à la voix splendide, Ligie à la voix claire, Leucosie la blanche, Molpé au chant étrange, Parthénope à la voix de jeune fille, Pisonoé qui persuade, Thelxinoe qui charme l’esprit, Thelxiope l’enchanteresse ou bien encore Thelxiépie la charmeuse, que sais je ?
Qu’importe, c’est bien une sirène aux charmes océanes qui dodeline nonchalamment sur une balançoire au fond de la mer parmi les bancs de petits poissons tout en caressant un dauphin qui n’en demandait pas tant.
Je vous le disais qu’il y avait bien du monde ce matin là, rua Santa Maria. Il y avait même un prince, le plus grand d’entre-eux, le petit prince qui ne manquait pas l’occasion de me rappeler:
« On ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux »