Les Marquises – Ua Pou

Ua Pou, l’ile des Guerriers, ceux qui regardent vers les étoiles.
Ua Pou, l’ile aux six pics basaltiques, culminant à plus de douze cents mètres, qui viennent défier le ciel, comme une forteresse flanquée de tours de garde.
Ua Pou, l’ile aux nuages qui caressent les pitons rocheux, les dissimulent aux communs des mortels, les enveloppent d’un voile de mystère.
Ua pou, l’ile.

Certains guides touristiques que je ne nommerai pas, par simple générosité d’esprit, évoquent des palais de conte de fées.
Et pourquoi pas le château de la belle au bois dormant, mais couillon de la lune, tu les crois ces balivernes, ces galéjades, ces couillonnades.

Non, lorsqu’à l’horizon apparaît Ua pou, c’est le choc, un saisissement, un carambolage, un chamboule tout des sens, des émotions, un panoramique à en perdre la vue de l’océan Pacifique, des monceaux géants de lave basaltiques, dressés comme des seigneurs de guerre figés dans leur noblesse, noirs comme le diable, chauds comme l’enfer, plus forts que la mort.

« Dans les temps anciens, il y avait de grandes colonnes à Ua Pou. Un jour, arriva une colonne venue de Hiva Oa et qui répondait au nom de Matafenua. Cette dernière avait combattu les colonnes d’Ua Pou et les avait toutes défaites. Mortes, toutes tombées, leurs corps morts constituèrent les montagnes qui séparent les vallées.

Un jour naquit une nouvelle colonne à Ua Pou du nom de Poumaka. En marchant tout autour de l’île, elle aperçut les colonnes mortes qui gisaient. Poumaka questionna alors :
Qui a tué ces colonnes ? On lui répondit : C’est Matafenua.

Quand Poumaka fut grand, devenu un guerrier, il rejoignit Hiva Oa pour se venger. Informé de son arrivée, Matafenua effrayé se réfugia à l’est de Hiva Oa. Poumaka se mit en guerre et pourchassa d’abord la colonne Kiukiu qu’il tua. Son corps tomba et se coucha à l’ouest de Hiva Oa. Puis Poumaka se mit à la poursuite de Matafenua et le retrouva à l’est de Hiva Oa. Il le terrassa et coupa sa tête qu’il attacha à son pagne pour la rapporter à Ua Pou. Ainsi, vous pourrez voir près du pic Poumaka une colline qui n’est autre que la tête de Matafenua. Quant à son corps, il gît toujours à l’est de Hiva Oa. »

Légende Marquisienne

A l’époque des affrontements entre les clans des vallées ou des iles, malheur aux vaincus, à la tête tranchée pour que le vainqueur puisse s’emparer de son mana, sa force spirituelle.

Sur l’île de Ua Pou, le dernier roi avant les missionnaires s’appelait Heato.
A cet époque l’île comportait pas moins de vingt sept tribus réparties sur quinze vallées. Un roi pour chaque tribu, quelque fois un roi pour une vallée abritant deux ou trois tribus, mais Heato était devenu le roi de toute les vallées et toutes les tribus. Ce qui était exceptionnel.

Certains racontent que d’après la légende, Heato, dans sa toute puissance, s’intéressait moins au mana du chef de la tribu voisine qu’à sa fille dont il était fou d’amour. Or son père la lui refusait. Furieux, Heato s’apprêtait donc à massacrer la tribu pour capturer la fille du chef et satisfaire son désir. Mais celle-ci construisit des radeaux de bambous, en moins d’une nuit grâce à l’aide des dieux, pour s’enfuir aux Tuamotu. A l’aube, les guerriers d’Heato, crânes humains garnis de cailloux cliquetant lugubrement à la ceinture, casse tête bien en main, trouvèrent la vallée déserte.

Des blocs de lave noire couverts d’une forêt vierge, des falaises comme surgies au milieu du Pacifique, des aiguilles et des pics qui dominent de profondes vallées en bord de mer, anciens cratères de volcans partiellement immergés.

Par endroits, au sein des vallées où se nichent de rares villages, la nature recule pour se contenter d’enlacer un espace qu’elle concède aux hommes ne manquant pas de leur offrir papayers, bananiers, arbres à pain, pamplemoussiers, ainsi que l’arbre sacré, le banian.

Dans les temps anciens, la vie s’organise autour du tohua, une vaste esplanade rectangulaire, pavée en pierre, flanquée de petits gradins, tel un forum où se réunissent les membres du clan pour les nombreuses fêtes et les cérémonies publiques. Les habitations reposent également sur des fondations en pierre les pae pae, disposées sur deux niveaux, une terrasse et une maison, des poteaux en bois et des cloisons en bambous supportent les façades en feuilles et le toit réalisé avec des feuilles d’arbre à pain, de pandanus et de palmes de cocotiers.

Placé à l’écart des constructions communes, le me’ae des Marquises, une terrasse pavée de roches basaltiques, un lieu sacré auquel seuls les Hakaiki, les chefs et les prêtres ont accès, correspond à un espaces tapu qui deviendra tabou en français. Un lieu de rites funéraires, de dépôts d’ossements humains, de sacrifices destinés à respecter l’équilibre entre la vie et la mort. Ils étaient généralement surmontés d’un ou plusieurs tiki aux formes généreuses.

Alors dans ce lieu sacré, la nuit le plus souvent, le Taua, le grand prêtre criait parce qu’il entendait venir le dieu. Le Taua devenait alors triste, sombre et tremblait de tous ses membres, dans un délire haletant, dans un accès de fureur, en transe, les yeux fixes exorbités, s’écriait : il nous faut une victime humaine pour apaiser la colère des dieux.
Le Hakaiki et les guerriers se saisissaient alors de leurs lances, frondes et autres casse-tête…

Sur une plate forme, au cœur de la forêt, comme une scène offerte pour l’éternité, un grand tiki, massif, la tête carrée et le regard grave toise de sa splendeur la vie des mortels. Taillé dans une pierre volcanique rouge, il a traversé debout, les guerres tribales, l’oubli des hommes, la destruction ou le pillage, l’envahissement de la végétation, la déforestation, puis enfin, grâce à une poignée de passionnés, il a retrouvé sa majesté et il se dresse toujours, à nouveau fier et droit dans sa vallée.

Après les offrandes aux dieux, c’est le temps de la danse, pas celle de salon, guindée dans ses hypocrisies. Mais celle ancrée dans la nuit des temps, une danse festive pour communiquer ses émotions, puisant au plus profond, au plus secret de l’être, exprimant l’essentiel de l’existence, le jeu, l’amour, la fête, la vie, la mort. Une danse pour transposer un vécu, mystifier son quotidien, exprimer ses désirs, refouler ses inhibitions. L’art de la danse et l’art de la guerre intimement mêlés.

« Leurs sauvages gesticulations, les gestes grotesques de leurs corps peints, leurs vociférations, leurs chants accompagnés de flûte et de tambour, représentaient un spectacle extravagant, grandiose dont il est difficile de se faire une idée juste. »

William Elis
Missionnaire – 1817

Alors, à l’heure où le soleil s’enfonce derrière les arêtes basaltiques, que l’ombre s’épaissit à vue d’œil sous les arbres géants, le grondement des pahu, ces hauts tambours creusés dans des troncs de bois de rose, envahit l’espace. Irrésistiblement, la sensation gagne de plonger dans la nuit ancestrale de ce peuple du bout du monde.

Avec une violence inouïe, le tonnerre des to’ere explose en giboulée jusqu’au fond des poitrines puis s’arrête net, livrant soudain l’espace à un silence saisissant. Alors que les bruits alentour redeviennent perceptibles, la voix des tambours ébranle de nouveau la frondaison des banians.

A la lueur des torches, à l’appel rauque d’une conque marine, c’est une débauche de sonorités, de costumes éclatants, de guirlandes végétales et de cascades de fleurs de tiaré au parfum enivrant.

Au rythme sourd, envoûtant des percussions, répondent des grognements cadencés, profonds comme des râles de rut animal. Surgie de la brousse, à la lueur des torches, cinq hommes, le corps massif, luisant de sueur, parés à la sauvage de longues franges végétales, couronnes de feuilles et colliers, s’avancent par bonds, genoux pliés, jambes écartées, martelant le sol, se claquant les cuisses à chaque grognement. Danse venue du fond des âges, démonstration de la vigueur pulsionnelle et guerrière des mâles de la tribu. La terre tremble sous leurs pieds, réveillant les esprits qui ne dorment que d’un œil dans les mille racines des banians sacrés.

Puis voici qu’apparaissent, comme une nuée diaphane, les corps ondoyants des femmes. Diadèmes à ramages, colliers de fleurs, plumes, bras déployés comme des ailes, effleurant le sol de la pointe des pieds, elles ressuscitent la danse de l’oiseau. La grâce aérienne des Marquisiennes qui dansent comme planent les pailles en queue . Le battement des percussions s’arrête pour magnifier l’envoutement de la douceur incantatoire de leurs voix, la fluidité de leurs gestes, la souplesse de leurs déhanchements. Il y a de la volupté dans l’air où flottent des effluves de tiaré.

Et de nouveau, le battement des percussions reprend pour l’enchainement des danses avec l’énergie du désir d’offrir l’exaltation des corps et des cœurs, quelque chose de l’âme des premiers occupants de ces îles perdues dans l’immensité du Pacifique qu’ils avaient baptisé Henua Enana : la Terre des Hommes.

Les hommes massifs, taillés comme des charpentes, les mollets comme des poteaux, les épaules comme des poutres, dents de cochons sauvages autour du cou, les femmes à l’élégance toute en rondeur, habillées de paréos, les cheveux enduits de monoï, ornés d’hibiscus ou de couronnes de fleurs, colliers de graines. Les tatouages à fleur de peaux luisantes racontent les légendes et traditions ancestrales, la mémoire d’un peuple au grand cœur.

Aux Marquises, la vallée où il vit appartient à son clan, non par droit écrit mais par le droit tacite et ancestral du premier occupant et parfois, par le passé, défendu âprement au travers de combats sanglants lors des guerres de tribus.

Le Marquisien ignore les ambitions des autres hommes.
Il est peu enclin au travail de la terre. Généreux dans son indigence, magnifique dans son humilité, le Marquisien abandonne cette terre féconde à Dame Nature. Il lui préfère la cueillette, la chasse aux cochons sauvages, la pêche. Les Marquisiens n’abusent pas de leur Nature, si jamais un dieu de l’ancien temps venait à se réveiller mécontent, et se mettait à réclamer de nouveaux sacrifices…

Non, tout simplement, il n’y a pas cette idée, colportée par les nouveaux dieux, non moins exigeants en sacrifices, de consommation effrénée, de compétition, de rentabilité, de profit. Alors, ils ne cueillent, chassent, pêchent que pour subvenir aux besoins immédiats de leur famille.

Quant à lui, il se laisse vivre, faisant bon ménage avec sa condition de vie. Installé dans son flegme naturel, il supporte le cours du temps avec une indifférence superbe. Et les siècles s’écoulent sans rien changer à son insouciance.

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2 commentaires

  1. Véronique Durvel

    Visiblement ,il est bien plus facile de vivre de nos jours aux Marquises.. plus de guerre de tribut mais toujours de jolies femmes, de beaux hommes , quoique un peu trop costauds pour moi !
    Mais la nature et l ‘insouciance, surtout l INSOUCIANCE !!!

    • Lorsque l’on voit ce qui se passe dans le monde, la vie aux Marquises est un rappel des valeurs fortes. Dans ses îles reculées, les habitants vivent en harmonie avec leur environnement.
      Pas de tablettes, pas de téléphones ancrés à la main. Les enfants s’amusent dehors avec le cadeau le plus précieux: la nature qui les entoure.
      Les Marquisiens ont su préserver leurs valeurs et leurs traditions. Ils sont parmi les plus actifs en Polynésie française à la protection de leur environnement, que ce soit sur terre ou en mer.
      Un bel exemple tout simplement rafraichissant

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