Les Marquises – Fatu Hiva

Ce matin là, un jour comme les autres.

En accostant le petit quai d’Hanavave aux premières lueurs de l’aube, nous découvrons un groupe d’hommes qui prépare quatre petit doris en aluminium. La conversation s’engage naturellement avec la gentillesse d’accueil, coutumière aux Marquises. Le doyen de l’expédition, Taaua nous confie partir avec son équipe à la chasse aux chèvres sauvages pour les quatre prochains jours. Jerricans d’essence, jerricans d’eau, des fusils de chasse, des munitions, des bananes séchées et quelques couvertures pour dormir à la belle étoile.

Pour notre part, après avoir contemplé et échangé quelques mots avec l’apiculteur dont la récolte bat son plein en cette saison où les mangues, gorgées de maturité, s’écrasent au sol en rafales, la randonnée du jour emprunte les dix sept kilomètres de piste en terre rouge pour rejoindre le seul autre village de l’île, Omoa. Cette route des crêtes offre des points de vue vertigineux sur une côte découpée, déchiquetée où, à chaque mouvement d’une houle langoureuse, la blancheur diaphane de l’écume souligne le noir intense des falaises basaltiques.

A l’intérieur des terres, toute une palette de verts, platine, émeraude, turquoise, opale, feuillage, mousse, menthe, sapin, olive, une forêt tropicale d’hibiscus et de manguiers d’où émergent des bouquets de pandanus aux palmes luisantes. Dès qu’une légère brise souffle, les parfums acidulés des citronniers et des orangers se mêlent aux effluves plus lourdes et sucrés des manguiers envahissant le fond de l’air jusqu’à l’ivresse.

 » Nous allions tous les deux, nus avec le linge à la ceinture et la hache à la main, traversant maintes fois le ruisseau pour profiter d’un bout de sentier que mon compagnon semblait percevoir par l’odorat plutôt que par la vue, tant les herbes, les feuilles et les fleurs, en s’emparant de tout l’espace, y jetaient de splendides confusions. Le silence était complet en dépit du bruit plaintif de l’eau dans les rochers, un bruit monotone, accompagnement de silence. »

Paul Gauguin – Noa Noa

Puis, concentré sur l’effort physique, mes pensées se focalisent sur le prochain quart d’heure, puis le prochain virage, puis le prochain pas. Deux heures d’une montée soutenue, aux dénivelés effrayants jusqu’à atteindre le plateau de l’île à près de sept cents mètres d’altitude.

Soudain, sortant de nulle part, deux chasseurs, bandanas dans les cheveux, cheminent à coté de leurs chevaux, accompagnés d’une meute de chiens. Ils reviennent d’une chasse aux cochons sauvages qui se pratique à l’arme blanche.

Sur le retour, la route de terre vertigineuse dégringole jusqu’à une baie d’une beauté captivante dont on découvre, depuis les hauteurs, l’arc de cercle parfait, caldeira de volcan baignée d’eaux bleu sombre. Les parois d’un ancien cratère apparaissent au loin. En toute majesté, Il plonge dans la mer des lames de pierre effilées formant de petites criques.

De part et d’autre de la plage s’élèvent d’immenses pitons de basalte, nous atteignons la baie des Vierges. Mais, de vierge, nulle trace. Et pour cause.

Les cheminées aux formes phalliques avaient inspiré aux marins, venus mouiller en ces lieux, le nom de baie des Verges. Une appellation profane que les missionnaires catholiques, sourds à l’attrait érotique de l’endroit, s’empressèrent de modifier, ajoutant à la dénomination habituelle un petit i, pas si pudique au regard de sa forme.

Les sculpteurs exposent à domicile leurs œuvres, taillées dans la pierre, finement ciselées dans des bois durs et précieux, bois de rose, bois de fer, ébène, santal, dans des os de mammifères pour les plus petites pièces ou bien encore des rostres d’espadon.

Les femmes, bouquet fleuri dans les cheveux, s’attellent à la confection de colliers, bracelets, boucles d’oreille avec les graines récoltés dans la forêt, ou bien les vertèbres de requins.
Et puis il y a la fabrication du tapa. Au premier regard, les tapa sont des sortes de grands buvards bruns, beiges ou blancs sur lesquels on aurait peint une multitude de motifs. Les uns sont doux comme de la peau de chamois ou transparents comme de la mousseline, d’autres brillants et solides comme du cuir glacé.

Autrefois, la technique permettait de confectionner des étoffes non tissées à partir de l’écorce de l’arbre à pain, du murier ou du banyan. Cette étoffe permettait, d’habiller aussi bien les hommes que les effigies des dieux. Le tapa accompagnait tout au long de sa vie le peuple de la Terre des Hommes depuis le lange de sa naissance jusqu’au linceul de sa mort.

Produits d’un savoir-faire ancestral exclusivement féminin, les tapa portaient en eux, tout comme les tatouages, l’esprit des grandes migrations, l’histoire des ancêtres, les liens entre les hommes et les dieux, l’équilibre avec la nature.

Dans une grande bassine, dissimulée pudiquement sous un grand torchon, de la pulpe fraîche de noix de coco râpée, des boutons de fleurs de tiaré et frangipanier et la douce chaleur du soleil s’enlacent tendrement des heures durant pour donner naissance au monoï traditionnel.

Comme il est d’usage dans tout l’archipel, le visiteur peut tout à loisir regarder, toucher, les pièces exposées sans que jamais il soit poussé à l’achat de quelque façon. Chacun des artisans comme Temo se fait un plaisir d’expliquer sa technique, d’échanger avec les visiteurs, de partager son histoire, son savoir, sa culture. Un présent de l’âme.

De retour sur le quai, c’est une nouvelle patrouille de doris, emmenée par des jeunes du village, l’esprit des Marquises chevillé au coeur, les cheveux peroxydés. Ils regagnent Hanavave après une journée de tronçonnage. Les embarcations chargées à ras bord, jusqu’à la lisse, de troncs de bois de rose qui feront le bonheur des sculpteurs.

Il faudra rejoindre au couchant Saudade, pour admirer depuis la mer, la baie mythique des Marquises, la baie des Vierges. Les massifs de pierre qui encadrent la rade semblent dessiner des colonnes minérales, rousses sous la lumière dorée du soleil déclinant. Après tout, des verges pour des vierges, quel mal y aurait-il ?

Fatu Hiva, en 1515, c’était la première ile découverte par Don Alvaro de Mendana Y Neira, à la recherche des Iles Salomon. Après seulement cinq semaines de mer, conscient d’avoir découvert un nouvel archipel, Mendana leur donne le nom de Las Marquesas de Mendoza, en l’honneur de la femme du vice-roi du Pérou.

L’occasion est belle pour faire le plein d’eau douce et de fruits. Les navires se mettent à la recherche d’un endroit abrité pour faire escale. Le 27 juillet, les ancres sont mouillées dans la grande baie de Vaitahu à Tahuata. L’accueil est jugé chaleureux dans le journal de bord. Les habitants de l’île sont agréables et les premiers contacts encourageants.

Les marins s’en donnent à cœur joie, séduits par la convivialité de leurs hôtes du moment, mais surtout par la beauté de leurs compagnes aux rires frais et engageants.

Fidèles à leurs habitudes, les marquisiens mettent leurs pirogues à l’eau et tournent autour des navires visiteurs. La peur gagne rapidement les équipages, face à une réelle supériorité numérique des îliens. Pour tenter de les dissuader, des coups de feu sont tirés et plusieurs marquisiens tombent mortellement touchés. Plusieurs dizaines d’îliens seront tués lors de cette tragique escale de Mendana aux Marquises.

Il finira par rejoindre les iles Salomon pour, emporté par mille fièvres, mourir dans les bras de sa douce. Les Marquises retournent à leur isolement jusqu’au XVIII° siècle et son cortège d’expéditions américaines, française, anglaises et russes.

Le soleil disparu derrière l’horizon, non sans offrir un dernier éclat de rayon vert, c’est un nouveau petit doris qui aborde Saudade avec trois hommes à bord. En dépit de la pleine lune, ils partent pêcher la langouste mais ne possèdent qu’une seule paire de Palme. C’est Tahaki qui me demande si je ne pourrais pas lui prêter une paire de palme ce que je m’empresse de faire. Il prévoit de contourner les falaises pour rester à l’ombre de la lune et poursuivre la pêche jusqu’à trois heures du matin.

Voilà, c’était une journée comme les autres à Fatu Hiva aux Marquises

Le peuple de la Terre des Hommes comme nombre d’autres peuples premiers ou racines a un changement de regard à nous offrir.

La notion du temps de la Terre des Hommes étonne parce qu’il n’est pas destiné à produire mais à vivre. Ce qui l’entoure n’est pas une matière première, mais un don de la Nature qui lui permet de vivre.

Même s’ils ont peu d’objets, ils possèdent des objets beaux et adaptés à leur usage.

Mais surtout, ils ont une abondance de vie :
La Vie est chaude, douce, belle, agréable à caresser, et elle est gratuite.
La Vie est une abondance de temps, de liens humains, de partage, de beauté, en fait de ce qui constitue l’essentiel.

Alors une question se pose :

Est ce que l’humanité s’accomplit dans un monde où la technologie est omniprésente ou est ce que l’humanité s’accomplit dans un monde où elle se sent en harmonie avec son environnement ?

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Un commentaire

  1. En tous cas … une bien belle journée !

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