Un Petit Marin et un Sablier

A bord de Saudade, en navigation, j’aime la nuit.
Chacun de mes sens est à l’affût pour capter les moindres perceptions, sensations, impressions.
Sous les tropiques, elle est souvent câline, pourvoyeuse de brises tièdes et caressantes.
La voûte céleste est généralement étoilée, dans son costume d’apparat au grand complet loin des pollutions nocturnes citadines, même si Dame Lune s’en vient quelque soir, parée de sa cape pleine de brillance.
Le chuintement de l’eau, jubilatoire, chante sa douce mélodie au long de la coque tandis que l’océan ou les côtes en approche exhalent leurs parfums envoûtants à la faveur des tendresses nocturnes.
La nuit est propice à l’observation, à la réflexion, à la contemplation.
De la contemplation à la méditation, il n’y a alors que quelques neurones à connecter.
Ainsi, viennent les instants d’interpellations, de fascinations, d’émotions face aux vertiges du Cosmos, inépuisable et de la marche du Temps, inexorable.

Le ciel m’apparaît constellé d’étoiles et il l’est. Pourtant je ne peux voir à l’œil nu que trois mille étoiles or l’univers se compose de centaine de milliards de galaxie, chacune d’entre-elle, riche de centaine de milliards d’étoiles.
Vertige du Cosmos, inépuisable.

Depuis toujours, en navigation la mesure du temps s’est révélé fondamentale. Bien sur, aujourd’hui horloge atomique, montre à quartz, satellite, GPS et pourtant depuis l’aube des temps, des hommes ont navigué sur toutes les mers du globe sans électronique en observant, le vent, la houle, les nuages, les oiseaux, la lune, les planètes, les étoiles, le soleil. Mais seule, la mesure du temps permet de déterminer précisément la longitude.

Avant que n’apparaisse le chronomètre de Marine à la fin du dix-huitième siècle, en mer le maître du temps, c’était le sablier.

On l’appelait aussi l’ampoule à sable. C’était un objet précieux, raffiné et savant, non pourvu d’une certaine élégance. Les fabricants de ces ampoules étaient des artisans d’exception, des maîtres artisans.
Pour le sable, de la poudre de marbre, de coquilles d’œuf, ou bien encore un mélange de poudre d’étain calciné et de plomb.

On trouvait des sabliers pour marquer la minute, le quart d’heure, la demi heure, l’heure et même parfois les vingt quatre heures

A l’aide du loch, le sablier mesure la vitesse du navire, ainsi la distance parcourue et donc à l’estime la longitude. Mais il a une autre vocation. Il donne une heure identique à tous les hommes de l’équipage. Il régente la vie et le travail de chacun.

L’ampoule à sable du marin est communément façonnée pour mesurer les demi-heures. La durée du quart qui correspond au rythme de travail est ordinairement de quatre heures soit huit sabliers.
Pour chaque retournement de sablier, un coup piqué à la cloche de la timonerie. Coups doubles aux heures rondes et quatre coups doubles à minuit, quatre heure, huit heure, et midi. Le nombre de coups symbolisait ainsi le nombre des sabliers retournés.

La nuit, l’homme de quart est le gardien du temps, il veille à la bonne conservation de la marche du temps.

Dans le calendrier cosmique de quatorze milliards d’années concentrées sur une seule année,
Le Big bang aurait lieu le 1er janvier et nous serions le 31 décembre, minuit. Et dans l’ordre d’apparition sur la grande scène de l’univers, les nominés sont:
01 janvier.       Le Big Bang
01 avril.            La Voie Lactée
01 septembre. Le système solaire
05 septembre. La Terre
08 septembre. Les océans
21 septembre. Les premières formes de Vie sur Terre
16 décembre.  Explosion de la biodiversité
18 décembre.  Les poissons et vertébrés
20 décembre. Première extinction. Impacts d’astéroïdes.
20 décembre. Les plantes
21 décembre.  Les insectes
22 décembre. Deuxième extinction
24 décembre. Les reptiles
25 décembre. Troisième extinction. Énorme éruption.
25 décembre. Les dinosaures
26 décembre. Quatrième extinction. Éruptions volcaniques et météorites.
26 décembre. Les mammifères
28 décembre. Les oiseaux
28 décembre. Les fleurs
30 décembre. Les primates
30 décembre. Cinquième extinction. Une collision avec un astéroïde, la fin des dinosaures.

Enfin pour l’espèce humaine, poussière d’étoiles, atome parmi les atomes, partie intégrante de la nature, tout se joue au soir du 31 décembre.
Australopithèque à 21h11, elle marche à 22h04, elle taille des outils à 22h58, elle invente le feu à 23h30, elle devient Homo Sapiens à 23h52.
Toutes les créations, innovations, transmissions du savoir et de la connaissance, magnificence et sublime de l’esprit, interviennent dans la dernière minute de l’année.
Dans les dernières fractions de la dernière seconde, sixième extinction due à l’activité humaine.

Une vie de l’espèce humaine correspond à un cinquième de seconde de ce calendrier.
Combien de sabliers retournés pour suivre le grand ordonnancement du calendrier cosmique ?
Vertige du Temps, inexorable.

Vertige du Cosmos, inépuisable. Vertige du Temps, inexorable.
Et alors, la place de la femme, de l’homme face aux vertiges de la Vie, qu’elle est-elle ?
Une facette de la réponse, je l’ai trouvé dans le dernier livre de Michel Onfray qu’il qualifie comme étant son premier, Cosmos :

« Chaque homme est une quantité négligeable dans un univers rempli d’étoiles effondrées, d’univers multiples, de trous noirs qui avalent l’énergie, de trous de ver par lesquels les univers communiquent peut être, de fontaines blanches ou d’univers chiffonné, le nôtre, un univers dans lequel les illusions d’optiques nous font prendre pour grand ce qui est petit parce que réfracté, contemporain ce qui est mort parce
que différé, dans un même temps ce qui relève de temps divers parce que plié par la gravitation.

Chaque homme est une quantité négligeable dans l’univers, certes, c’est donc entendu, mais chaque homme s’avère également une exception unique, une configuration définitivement inédite, une singularité sans aucune duplication possible dans le temps et dans l’espace, une chance de vie et de force, de puissance et d’énergie.
Cette occurence fragile et vraie, improbable mais réelle qu’est toute existence mérite que nous soyons subjugués et que de sentiment d’étonnement radical naisse l’expérience du sublime
. »

Le dernier mot reste avec Gandalf le Blanc

« La question à laquelle, il nous est demandé de répondre, c’est que faire du temps qui m’est imparti ? »

Gandalf s’exprimant à Frodon
Le Seigneur des Anneaux
Tolkien

 

consultez également

La Sagesse des Amérindiens

Les Amérindiens vivaient en symbiose avec la Nature. Les Amérindiens avaient pleine conscience d’être partie …

2 commentaires

  1. Gérald,
    très belle analyse philosophique sur le temps qui me laisse rêveuse quant à notre insignifiance face à l’univers.
    Mais ce texte me parle d’autant plus que depuis ton départ ,le temps devient un paramètre auquel je fais plus attention ,le temps passé à bord de Saudade à tes cotés ,le temps qu’il y a entre mes départs et arrivées à bord ,le temps de nos retrouvailles…..
    Brigitte

  2. Van de Capelle Stéphane

    Travaillant sur l’histoire de la mesure du temps
    Je croise votre texte, des yeux, un instant
    Les mots font échos, ils se prolongent un moment
    Ainsi, la vie, pour tous n’est qu’un long battement

    Merci
    Ils étaient là
    Un petit sablier transformé en bouée
    Où que vous soyez, que belle soit votre route.

    Tempus fugit ? Carpons les diem !
    Amicalement
    Steph.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *